Zapping cinéma et VOD, épisode 66

Posted on 1 avril 2022
Nouvelle fournée de films (quatre, une fois n’est pas coutume), plus ou moins récents, partagés entre VOD et cinéma, avec le dernier Ridley « toujours en forme » Scott, une remise à niveau avec l’un des précédents films d’Adam McKay (avant « Don’t look up » donc), le tant attendu « The Batman » de Matt Reeves, et une belle surprise que je recommande absolument, le magnifique « Le sommet des dieux » de Patrick Imbert. Que du bon, dans des genres très différents.

 

Le dernier duel, de Ridley Scott

On était en droit de se demander si Ridley Scott avait encore « la flamme ». Depuis la fin de la décennie 2000-2010 en effet (bien remplie avec, entre autres, « Gladiator », « La chute du faucon noir », « Kingdom of heaven », « American gangster »…), on avait un peu perdu de vue le Ridley Scott capable d’impressionner le public avec des films à la fois aptes à divertir et à interroger, tout en étant impressionnant sur le plan cinématographique (souvenons-nous de « Prometheus », un film que je n’arrive pas à détester malgré un scénario et des personnages frôlant le ridicule).

Et pourtant, à 84 ans, Scott nous montre avec « Le dernier duel » qu’il a encore des ressources. Reprenant les personnages et les faits qui ont mené au duel judiciaire CarrougesLe Gris au XIVe siècle (le premier accusant le second du viol de son épouse), en le mettant en lumière de manière très actuelle (sur les femmes violées, la parole de ces dernières constamment remises en cause, le modèle patriarcal, etc…), Ridley Scott parvient à faire de son film moyen-âgeux un long métrage très moderne et tout à fait dans l’air du temps.

Pourtant risqué sur le plan narratif (une même ligne narrative vue successivement par trois points de vue différents), le film n’est jamais ennuyeux malgré sa longueur (2h30). Porté à la perfection par des acteurs parfaitement dans leur rôle (en dépit de coiffures bien de l’époque qui font sourire aujourd’hui…), notamment les quatre têtes d’affiche, à savoir Matt Damon en Jean de Carrouges, fier et ambitieux tout autant que piètre et rugueux mari, Adam Driver en Jacques Le Gris, écuyer érudit et séduisant mais sans scrupule, Ben Affleck en Pierre d’Alençon, comte libertin et sans grande morale, et surtout une prestation impeccable de sobriété et de retenue, mais aussi pleine d’émotions de Jodie Comer en Marguerite de Thibouville, femme bafouée, violée, monnaie d’échange, contrainte de faire avec le sort des femmes de l’époque, le film est un modèle de reconstitution historique tout autant que formellement une belle réussite cinématographique.

Sur ce dernier point, il est d’ailleurs nécessaire de parler du fameux duel qui donne son nom au film. Pas si important que ça dans « l’affaire » CarrougesLe Gris bien qu’il en soit l’aboutissement (tout le discours de fond du film tient dans ce qui se passe avant), avec en jeu la vie de Marguerite de Thibouville, c’est pourtant une merveille de mise en scène : un duel en armure au Moyen-Âge, c’est lent, c’est crasseux, ça n’a rien de virevoltant ou de spectaculaire. Et c’est bien ce que nous montre Ridley Scott avec cette scène qui prend le temps qu’il faut, sans jamais « émerveiller » le spectateur, bien au contraire. Car le réalisateur n’est pas là pour faire un film « clinquant », il est là pour dénoncer. Et donc, oui le viol est aussi bel et bien là, oui cette scène hautement dérangeante est présente deux fois, et oui ça choque.

Le grand Ridley Scott n’est donc pas définitivement perdu, « Le dernier duel » le montre avec éclat. Actuel, questionnant, impactant, le film se pose parfaitement dans l’ère #MeToo, et occupe une place déjà importante dans la filmographie du réalisateur britannique.

 

The big short, de Adam McKay

Après « Don’t look up », j’ai voulu me tourner vers un autre film d’Adam McKay, un autre film qui a fait parler de lui (en bien). Direction le monde de la finance avec « The big short », adaptation d’un livre de Michael Lewis lui-même traitant des dérives de la finance ayant mené à la crise des subprimes en 2008 à travers quelques personnages-clés qui ont « vu » les choses avant qu’elles ne se passent et qui ont parié contre le système, profitant de l’écroulement des marchés financiers.

« The big short » est donc un film très cynique qui, sans faire de ses personnages des modèles, pose devant les yeux des spectateurs les mécanismes pas bien jolis du monde financier. Entre ceux qui spéculent sans scrupule, ceux qui parient contre le système et sont heureux de gagner (alors que si le système s’écroule, ce sont bel et bien les citoyens lambda qui trinquent, pas les institutions bancaires sauvées par les Etats), ceux qui voient les dérives du système mais font avec, il n’y a de très reluisant dans ce secteur.

Des acteurs convaincants (Christian Bale en autiste génie des algorithmes, Ryan Gosling en trader sans scrupule, Steve Carell en manager de hedge funds qui va gratter la surface du système, ou bien Brad Pitt en banquier « repenti ») et un montage dynamique (avec quelques caméos de célébrités pour expliquer « simplement » au spectateur quelques notions d’économie) font de ce film une déconstruction en règle d’un système aveugle qui tourne sur lui-même et pour lui-même, comme un canard sans tête, où la notion d’humanité est non seulement superflue mais surtout bannie.

C’est aussi un film un peu technique, pas toujours facile à suivre pour qui ne maîtrise pas les rouages et le langage du monde financier, mais c’est une belle démonstration que le monde de la finance est peuplé de requins : ceux qui baignent dans un système frauduleux et corrompu, aussi bien que ceux qui voient les limites du même système, prévoient son écroulement et en profitent pour s’enrichir sur le dos de ceux qui ont tout perdu. Il n’y a pas de héros dans ce film.

 

The Batman, de Matt Reeves

Très attendu, le nouveau film d’un des super-héros les plus populaires est enfin arrivé. Rompant avec la continuité des films précédents (l’univers cinématographique DC « global » est de toute façon abandonné, du moins pour le moment), « The Batman » marque donc un renouveau et le début d’un nouvel univers qui se verra décliné sur plusieurs médias (une série sur le Pingouin est déjà annoncée) et sur plusieurs suites cinématographiques (pas encore annoncées mais le succès du film, pas loin de 700 millions de dollars de recettes au moment où j’écris ces lignes, ne laisse aucun doute sur le sujet).

Trois heures (!!) et pas une seule minute d’ennui, voilà ce que j’ai ressenti au sortir de la salle. Un héros jeune, sombre et encore inexpérimenté, un vrai récit d’enquête oubliant les festivals pyrotechniques illisibles des films DC précédents, une ville de Gotham obscure et magnifiquement mise en scène (presque un personnage en elle-même), un épatant Robert Pattinson au regard hypnotique, une Zoë Kravitz incarnant à merveille la féline et indépendante Catwoman (qui ne s’appelle pas encore comme ça), des (super ou pas) vilains « réalistes » (Carmine Falcone en baron de la pègre, le Pingouin en bras droit dirigeant un « club » très select, le Riddler faisant oubliez les gesticulations cartoonesques de Jim Carrey en 1995 et usant des réseaux sociaux efficacement), tout cela donne un vrai film noir, digne héritier des thrillers de David Fincher (difficile de ne pas faire un parallèle entre le Riddler de ce film et le John Doe de « Seven »).

Alors c’est sûr, on peut trouver quelques imperfections, essentiellement dues au cahier des charges imposé par DC, mais Matt Reeves s’en sort malgré tout haut la main, en relançant le héros chauve-souris de la plus belle des manières. Il faut prendre ce film pour ce qu’il est : un long-métrage mettant en scène un jeune homme épris de vengeance depuis la mort de ses parents (le film évite heureusement ce passage mille fois vu, Matt Reeves estimant à raison que c’est un fait désormais connu des spectateurs), qui s’est arrêté de vivre et dont le personnage public, Bruce Wayne, vit reclus et n’est plus que l’alter-ego discret d’un justicier masqué qui redresse les torts la nuit.

Dès lors, le cadavérique Robert Pattinson se révèle véritablement sous le costume (certes très protecteur et pare-balles, mais aussi loin d’être l’armure sculptée que les derniers films ont montré, j’en veux pour preuve le masque qui n’est fait que de cuir cousu), et c’est là pour moi une véritable révélation : Pattinson EST Batman. Magnifique de présence. Ensorcelant.

Le reste du casting est à l’avenant : Zoë Kravitz est impeccable, Colin Farrell est méconnaissable mais parfaitement dans le ton du Pingouin (on sourira devant la démarche du personnage les pieds enchaînés, clin d’oeil évident), Jeffrey Wright campe un James Gordon incorruptible. Seul Paul Dano en fait peut-être un peu trop sur la fin dans son rôle d’autiste-fou un peu caricatural alors que son personnage et ses actes sont pourtant très ancrés dans l’actualité (avec sa milice issue des réseaux sociaux qui ressemblent très fort à celle qui envahi le Capitole).

Pas grand chose à redire ici donc, la franchise est parfaitement relancée, je n’ai pas vu le temps passé malgré la longueur du film, l’ambiance du film est impeccablement tenue et maîtrisée. Du grand Batman, vivement la suite !

 

Le sommet des dieux, de Patrick Imbert

Film d’animation de Patrick Imbert adapté d’un manga de Jirō Taniguchi (lui-même adapté d’un roman de Baku Yumemakura), « Le sommet des dieux » est au départ une enquête d’un photoreporter de montagne qui cherche, en 1994, à retrouver un alpiniste disparu de la circulation depuis plusieurs années, qui serait susceptible de détenir l’appareil photo de l’expédition Mallory, disparue lors de sa montée vers l’Everest en 1924 sans que l’on sache si le sommet a été vaincu ou non, presque 30 ans avant la première réussite avérée, en 1953.

Très rapidement, l’enquête du journaliste s’oriente vers la personnalité de l’alpiniste japonais en question, Habu Jôji. Son passé, son heure de gloire, sa rivalité avec un autre alpiniste japonais (Hase Tsuneo, inspiré d’un grand alpiniste japonais, Tsuneo Hasegawa), un drame… La vie d’Habu Jôji est finalement une illustration de la vie d’un alpiniste et de ce sport, cet art diraient certains, fait de dépassement de soi, de douleurs, de peines, de joies, d’ivresse des cimes, d’introspection, de compétition, de prises de risques parfois jusqu’à l’extrême, parfois même au-delà…

Plus que cela, le film, dont le côté contemplatif sied à merveille à son sujet (la haute montagne, la solitude, la nature…), parvient à toucher du doigt ce qui peut paraître irrationnel à qui est extérieur à cet environnement : la fascination que la haute montagne inspire, cette attirance irrépressible alors même que de nombreux drames s’y sont noués et cette danse avec la mort à une altitude et dans une nature qui ne sont pas faites pour le corps humain. Habu Jôji lui même aura ses mots, pour tenter d’expliquer l’inexplicable : « Une fois qu’on y a gouté, on ne peut plus s’en passer. Il n’y a plus que ça qui compte, c’est comme ça. »

Sujet fascinant s’il en est, qui, par la bande, rappelle des souvenirs à quiconque a pu s’intéresser à un moment ou un autre de sa vie aux exploits et aux drames liés à la haute montagne (ou au grand public qui se rappellera du sauvetage spectaculaire d’Elisabeth Revol sur les pentes du terrible Nanga Parbat en 2018, expédition qui a coûté la vie au compagnon de cordée de la Française), le film parvient à allier le style franco-belge et le style manga, tout en délivrant des panoramas montagnards absolument splendides.

Poétique, introspectif, méditatif, mais aussi ode à l’aventure, humaine autant que sportive, « Le sommet des dieux » pose la question de la rationalité, au-delà même de l’alpinisme. Quête immatérielle, quête de sens, quête de soi sans doute, dans un contexte à la fois hostile et pourtant terriblement attirant, le film est une réussite totale, émouvant, éprouvant, liant l’exploit physique et la quête intimiste, l’appel des cimes et le danger de la montagne. Accompagné qui plus est d’une magistrale bande son signée Amine Bouhafa, « Le sommet des dieux » est une merveille à ne surtout pas rater.

 

  
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