Tragédie à l’Everest, de Jon Krakauer

Posted on 20 avril 2022
Désolé, je vais encore vous saouler avec un livre sur l’alpinisme… 😀 Il s’agit cette fois du récit de Jon Krakauer, journaliste qui a participé à l’une des expéditions sur l’Everest durant le catastrophique printemps 1996 qui a vu la mort de huit personnes durant une tempête les 10 et 11 mai. Récit vu de l’intérieur donc, récit terrible, mais aussi récit documentaire et critique sur les expéditions himalayennes et leur commercialisation.

 

Quatrième de couverture :

« Je t’aime. Dors bien, ma chérie. Je t’en prie, ne te fais pas trop de souci. » Telles furent les dernières paroles adressées à sa femme, par Rob Hall, l’un des guides himalayens les plus expérimentés, depuis le sommet de l’Everest. Il ne devait pas redescendre vivant. Le 10 mai 1996, le Toit du monde fut le théâtre d’une véritable hécatombe. « Tragédie à L’Everest » est le récit de ce drame.

Envoyé spécial du magazine américain « Outside », Jon Krakauer (auteur de « Into the Wild ») fait partie des survivants et raconte sa vérité sur l’effroyable tragédie.

 

Le mortel toit du monde

Je sais, la SF est à nouveau bien éloignée… Mais que voulez-vous, c’est ma lubie du moment, je suis régulièrement monomaniaque… 😀 Ceci dit, ceux qui ne sont pas intéressés par la critique d’un tel livre, ce que je peux tout à fait comprendre puisque personne ne vient sur ce blog pour ça, peuvent se contenter du lien (plus complet en VO) que j’ai mis dans l’introduction pour avoir un résumé très succinct des évènements des 10 et 11 mai 1996 (et paf, je le remets là, juste au cas où… 😀 ) qui ont conduit aux décès de huit alpinistes sur les pentes de l’Everest. Mais ce serait voir les choses par le petit bout de la lorgnette car « Tragédie à l’Everest » (titre racoleur bien trop éloigné du plus sobre « Into thin air » original…) est bien plus qu’un simple récit de ces jours funestes.

En effet, Jon Krakauer revient largement sur les prémices de la catastrophe, en partant de sa propre vie, de sa passion pour l’alpinisme, des raisons pour lesquelles il s’est retrouvé dans une de ces expéditions dites « commerciales » (les participants devaient débourser pas moins de 65000 dollars pour en faire partie), en tant que journaliste pour le magazine « Outside ». Plus largement, en décrivant depuis le début l’expédition à laquelle il participait en cette année 1996, menée par l’expérimenté guide Rob Hall, il revient aussi sur des éléments annexes à l’expédition elle-même, tels que les  sherpas et leurs croyances, les rivalités entre les guides et leurs entreprises florissantes à mesure qu’elles faisaient payer à leurs clients le prix cher pour avoir le droit de monter à l’Everest, mais aussi des éléments plus pragmatiques comme le processus d’acclimatation à la haute altitude (avec des allers-retours entre les différents camps pour habituer le corps humain au manque d’oxygène), ou bien la pollution (due aux nombreux déchets laissés sur place par les « touristes ») de lieux pourtant sacrés pour les sherpas. Tout ceci fait de « Tragédie à l’Everest », au moins dans sa première partie, un documentaire très intéressant sur l’alpinisme himalayen qui n’oublie pas d’être critique sur certains aspects assez sombres du sujet.

Au fil de son récit, Jon Krakauer, à mesure qu’il se rapproche des jours fatidiques, distille quelques éléments qui peuvent amener à comprendre pourquoi un tel drame est survenu. De petites erreurs, de petites incompréhensions qui, sur le coup, paraissent être négligeables mais qui, une fois que les choses deviennent plus périlleuses, prennent toute leur importance. Pourtant, le guide de l’expédition de Krakauer, Rob Hall, est très expérimenté, déjà monté plusieurs fois au sommet. De même, l’autre expédition qui montera en même temps est menée par Scott Fischer, un autre alpiniste chevronné. Des éléments sérieux, gages de sureté.

Mais la nature reste la plus forte et les erreurs (comme des arrivées tardives au sommet (liées, entre autres choses, à des embouteillages aux point-clés de l’ascension ou de la descente), bien au-delà de l’horaire fixé au départ, une répartition pas optimale des bouteilles d’oxygène, ou bien une attribution des rôles de chacun parfois incomprise ou non respectée) et les pressions subies par les expéditions (qui intégraient un journaliste donc, mais aussi une autre personnalité très médiatique, avec à la clé d’un potentiel succès une publicité très favorable pour les guides), combinées avec une terrible tempête montreront bien que monter est une chose, mais qu’il faut aussi prendre en compte la descente. Car c’est bien dans la descente que le drame va se nouer : vent très violent, froid glacial (-60° !), visibilité nulle, la nuit qui tombe, et voilà un certain nombre d’alpinistes perdus sur les flancs de l’Everest, dans une nuit polaire, frigorifiés, éreintés, parfois victimes du mal des montagnes et sans possibilité de rejoindre un camp. Et malgré les tentatives de sauvetage par certains membres encore valides des expéditions (parfois avec succès, parfois non, parfois en abandonnant un camarade déjà mort ou sur le point de l’être…), le décompte est terrible : huit décès. Dont quatre dans l’expédition de Krakauer (parmi lesquels deux guides dont Rob Hall lui-même, Scott Fischer, guide de l’autre expédition, périra également).

Alors évidemment, tout cela n’est « que » le point de vue de Krakauer. D’autres participants aux expéditions de cette année-là ont aussi écrit des livres (Anatoli Boukreev avec « The climb », non traduit en français, ou Beck Weathers avec « Laissé pour mort à l’Everest ») et présentent certains éléments différemment. Parti pris ou clairvoyance diminuée par la fatigue et la très haute altitude, tout est possible. Mais la vision de Krakauer est forcément subjective. D’autant qu’il n’est pas toujours tendre avec certaines personnes. Mais si la vérité absolue n’est ici peut-être que partielle, la vision de Krakauer a le mérite d’éclairer les évènements d’une manière singulière, à la fois critique, et poignante.

Au rang des petits défauts, on pourra tout de même estimer que les personnages, nombreux, ont du mal à être pleinement différenciés dans l’esprit du lecteur qui se perd parfois un peu devant tous ces noms. Pour le reste, le livre fait le job : c’est carré, précis, effrayant, et très critique sur la « commercialisation » des hauts sommets, avec toute la problématique qu’apporte l’afflux massif de touristes novices en très haute montagne, vecteur de grands dangers, pour eux-mêmes comme pour les guides ou les sherpas. La montagne, c’est beau, mais la très haute altitude est parfois mortelle.

 

  
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