Un bon Indien est un Indien mort, de Stephen Graham Jones

Posted on 25 octobre 2022
Titre provocateur (référence à une célèbre phrase du général Philip Sheridan), roman fantastico-social sur le triste sort des Amérindiens victimes d’ostracisme et de racisme, écrit par un auteur lui-même Amérindien (de la nation Blackfeet) et qui n’en est pas à son coup d’essai en littérature de l’imaginaire (voir son roman « Galeux » qui revisite le mythe du loup-garou), voilà qui a de quoi éveiller la curiosité.

 

Quatrième de couverture :

Quatre amis d’enfance ayant grandi dans la même réserve amérindienne du Montana sont hantés par les visions d’un fantôme, celui d’un élan femelle dont ils ont massacré le troupeau lors d’une partie de chasse illégale dix ans auparavant. Tour à tour, ils vont être victimes d’hallucinations et de pulsions meurtrières, jusqu’à ce que l’entité vengeresse s’en prenne à la fille de l’un des chasseurs. Ce roman d’horreur psychologique est aussi une histoire d’amitié entre des marginaux torturés par la culpabilité, un drame familial, et un portait poignant de la jeunesse amérindienne.

 

Caribous, horreur et Amérindiens 

Y a t’il une intrigue dans « Un bon Indien est un Indien mort » ? Pas vraiment, un peu quand même, mais pas tant que ça… Partant d’une partie de chasse qui a mal tourné et qui hante encore ses auteurs dix ans plus tard, le roman, sous couvert de vengeance d’outre tombe (mais pas vraiment non plus…) prenant racine dans le genre fantastique, s’intéresse au destin de quatre amis, et par delà, au sort des Amérindiens dans une Amérique qui semble les avoir définitivement laissés de côté. Quatre amis qui vont sombrer, peut-être, chacun leur tour, en commençant par Ricky, dont une coupure de journal nous dit que sa mort est due à une dispute dans un bar. La vérité est pourtant toute autre, entre racisme pur et apparition fantastique…

En suivant les histoires personnelles des trois autres acteurs du « péché originel », Gabriel, Cassidy et Lewis (de la nation Blackfeet), Stephen Graham Jones nous décrit la vie de ces nations amérindiennes abandonnées par la société, tiraillées entre le désir de respecter leur culture et leurs traditions et de s’émanciper au sein de ce vaste monde dans lequel ils ont bien du mal à trouver une place. Ricky a fait le choix de quitter sa région d’origine, Lewis quant à lui, s’est marié avec une femme blanche. Une manière d’aller de l’avant, mais pas forcément bien vue, par aucune des parties concernés…

Ils vont, chacun à leur manière, se faire rattraper par leur passé commun, Ricky de la manière que l’on sait (ce sont les premières pages du roman), Lewis de façon plus insidieuse mais inexorable, Stephen Graham Jones démontrant là tout son savoir faire dans le domaine de l’horreur. Gabe et Cassidy, a priori moins secoués par ce qu’il s’est passé dix ans auparavant, vont se retrouver dans une tente de sudation, tout à fait digne des traditions les plus ancestrales de leur peuple, avec tout de même quelques ajustements pour rendre le tout plus supportable, plus « moderne », et sans doute plus factice. Et l’alcoolisme n’est pas loin, LE mal qui tue la nation amérindienne.

Et donc, entre racisme, drogue, pauvreté, manque d’argent et de considération, c’est le sort de ces laissés pour compte que nous dit Stephen Graham Jones. Une vie pauvre, dans tous les sens du terme, terne, triste d’une certaine manière même si cette tristesse ne se reflète pas nécessairement dans l’état d’esprit des personnages, mais plutôt dans un destin presque inéluctable duquel leur condition ne pourra jamais les faire sortir. Et le titre du roman résonne constamment avec ce que l’on lit, le lecteur ayant la désagréable impression que c’est la société même qui le prononce, en abandonnant purement et simplement ces « Premières Nations », avec au bout du compte la satisfaction du travail accompli. Un travail effectué par un fantôme bien particulier, ou là encore la maîtrise de l’auteur fait merveille, entre horreur pure, humour noir, et situations tout à fait décalées (ce match de basket…).

Oscillant entre polar, roman social, récit d’horreur, thriller fantastique, « Un bon Indien est un Indien mort », fort justement dosé entre toutes ces composantes, est donc un récit, dont la banalité des personnages qui se débattent avec les moyens dont ils disposent dans un monde qui ne veut plus d’eux frôle la déprime, aussi bien frappant sur le fond (la triste et terrible condition des Amérindiens) que sur la forme (horreur, parfois gore, toujours inquiétante). Une belle et sombre découverte.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Célindanaé, Le nocher des livres

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail