Les lettres du Père Noël, de J.R.R. Tolkien

Posted on 3 février 2023
J.R.R. Tolkien l’auteur, on connait depuis bien longtemps. Tolkien l’illustrateur, maintenant c’est bon aussi. Et si on mélangeait les deux, en y ajoutant une dose de Tolkien papa poule ? Le résultat de ce cocktail surprenant ce sont « Les lettres du Père Noël » et, spoiler, c’est une petite merveille.

 

Quatrième de couverture :

« Mes chers garçons, Je tremble plus que d’habitude, cette année. C’est la faute de l’Ours du Pôle Nord ! Ça a été la plus grosse explosion du monde et le feu d’artifice le plus monstrueux qui ait jamais existé. Le Pôle Nord en est devenu noir ! »

Chaque mois de décembre, une enveloppe portant un timbre du pôle Nord parvenait aux enfants de J.R.R. Tolkien. À l’intérieur se trouvaient une lettre rédigée dans une étrange écriture arachnéenne ainsi qu’un magnifique dessin en couleur. Ces lettres venaient du Père Noël et racontaient de merveilleuses histoires sur la vie au pôle Nord.

La fois où tous les rennes se sont échappés et ont disséminé les cadeaux un peu partout ;

La fois où l’ours polaire, sujet aux mésaventures, a grimpé au sommet du pôle Nord et est passé par le toit de la maison du Père Noël pour tomber dans la salle à manger ;

Et toutes les fois où des guerres ont éclaté contre la horde de gobelins qui vivent dans les grottes sous la maison !

De la première lettre adressée au fils aîné de Tolkien en 1920 à la dernière lettre poignante adressée à sa fille en 1943, cette nouvelle édition propose plusieurs éléments inédits tout en faisant la part belle aux reproductions charmantes des lettres, illustrations et enveloppes décorées. Une formidable célébration pour les lecteurs de tous âges.

 

Une délicieuse friandise

La quatrième de couverture de ces « Lettres du Père Noël » résume bien les chose. À partir du début des années 1920, Tolkien écrivait au mois de décembre une lettre, à son premier fils d’abord, John né en 1917, puis au fil des années à ses autres enfants (Michael né en 1920, Christopher né en 1924 et Priscilla née en 1929), en se faisant passer pour le Père Noël. Pas une simple lettre à vrai dire, mais une description des aventures hautes en couleurs du Père Noël au pôle Nord, avec son ami et assistant l’Ours Polaire qui l’aide à préparer les cadeaux de Noël et qui ne manque pas de provoquer de nombreuses catastrophes, avec pour résultat de compliquer la préparation et la distribution de ces présents tant attendus par les enfants.

Relativement succinctes au début, les lettres montrent malgré tout le soin extrême apporté par J.R.R. Tolkien à leur rédaction. Délicatement calligraphiées dans une écriture tremblante justifiée par l’âge du Père Noël et le grand froid qui sévit au pôle Nord, régulièrement interrompues par l’écriture massive et anguleuse (très inspirée des runes scandinaves ou de l’écriture gothique) de l’Ours Polaire dont la maîtrise de l’orthographe s’avère hasardeuse (on ne parle pas anglais ou français au pôle Nord mais arctique, l’Ours Polaire ne pratique donc pas souvent notre langue…), glissées dans des enveloppes elles aussi joliment calligraphiées et décorées de timbres du pôle Nord faits main par Tolkien, ces lettres finissent par prendre une tournure et une taille plus importantes.

 

 

Au fil des années, les lettres s’allongent, deviennent plus complexes, font des rappels aux évènements décrits les années précédentes, convoquent plus de personnages, et surtout sont accompagnées de dessins réalisés à l’aquarelle, au crayon, etc… Un vrai travail d’orfèvre en fait, et surtout qui donne la pleine mesure de l’imagination débordante de Tolkien, de son attachement à ses enfants et de son envie de les surprendre et de leur faire plaisir. J’imagine facilement leurs yeux pétillants à la lecture de ces missives qui leur décrivent les mésaventures de l’Ours Polaire, tombé à travers le toit de la maison du Père Noël, ou qui déclenche deux ans d’aurores boréales en un instant, ou encore qui se fait couler un bain chaud sans fermer le robinet ce qui provoque une inondation qui trempe de nombreux cadeaux…

 

 

 

Et puis il y a les Gobelins qui rodent dans les souterrains et qui finiront pas provoquer des guerres, l’arrivée des Elfes qui vont sauver la situation (ça ne vous rappelle rien ?… 😉 ), les Gnomes, les Oursons Polaires, les petits garçons des neiges, les neveux de l’Ours Polaire Paksu et Volkatukka, le jardinier du Père Noël, l’homme de la Lune, le secrétaire du Père Noël nommé Ilbereth, à l’écriture cursive bien différente des autres personnages, etc… Toutes sortes d’aventures rocambolesques et très amusantes et qui, ici ou là, font apparaître des éléments que l’on verra réutilisés dans les récits les plus connus de l’auteur (l’Ours Polaire perdu dans les cavernes des Gobelins m’a beaucoup fait penser à la même mésaventure de Bilbo et les Nains capturés eux aussi par des Gobelins dans le roman « Le Hobbit », écrit d’ailleurs à peu près à la même période…).

 

 

 

Au fil des pages, on trouve donc les lettres, les enveloppes, les différents mots des personnages qui écrivent aux enfants, et le livre prend vraiment des allures d’artbook avec les reproductions grands formats de ces somptueux courriers calligraphiés, colorés, décorés. Il ne faudra d’ailleurs pas hésiter à se plonger dans le déchiffrage (le mot n’est pas trop fort, regardez les photos qui accompagnent cet article) des lettres en anglais car on y verra des détails qui, étonnamment, ne sont pas traduits… Les différents éléments disséminés dans les pages ne facilitent certes pas une traduction qui se présente sous la forme d’un texte à la présentation très classique, il n’empêche que je ne vois pas de raison à ce que certains passages des lettres de 1935 (sous le dessin de la maison du Père Noël), 1937 (la traduction de la phrase elfique écrite par Ilbereth) ou 1939 (un paragraphe non traduit) et de quelques autres phrases ou morceaux de phrases ici ou là soient éludés…

 

 

 

On ne manquera pas non plus de percevoir dans ces lettres le philologue Tolkien : ainsi l’Ours Polaire invente un alphabet basé sur les signes découverts dans les grottes de Gobelins, et le lecteur pourra s’amuser à tenter de décoder la lettre. Tolkien a écrit de nombreux poèmes au cours de sa vie, et on en trouve aussi un long exemple (rimé !) dans le courrier de 1938. On sent que les destinataires de ces lettres changent au fil des années, à mesure que les enfants grandissent. Mais jamais le Père Noël n’oublie d’adresser un petit mot gentil à chacun des enfants de J.R.R. Tolkien.

 

 

 

Et puis viennent les années 40, la guerre, et les lettres ne passent pas sous silence ces années difficiles. La dernière, de 1943, clôt un cycle, on y sent une certaine mélancolie, la fin de quelque chose, pas si éloignée de la mélancolie qui parcoure la Terre du Milieu lorsque le temps des Elfes est révolu. Il y a là quelque chose d’émouvant.

 

 

 

Quoiqu’il en soit, ces lettres sont de vraies merveilles de tendresse, d’humour, de facéties, de fantaisie. « Les lettres du Père Noël » est un livre  plein de charme, dans lequel l’amour que Tolkien portait à ses enfants transparaît à chaque instant. Un vrai coup de coeur auquel je ne m’attendais pas forcément, même si cela faisait un bon moment que le livre m’intéressait. Cette « Centenary Edition » parue fin 2022 (pour célébrer la première lettre datée de 1920 puisque qu’en VO le livre est paru en 2020) est sans doute la plus belle et la plus complète édition parue à ce jour. Magnifique grand format relié avec signet, couverture cartonnée (et timbrée 😉 ), c’est l’occasion idéale pour s’y plonger. Une merveille.

 

 

 

  
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