Les jardins de la Lune, tome 1 du Livre des Martyrs, de Steven Erikson

Posted on 4 juillet 2023
On achète, on achète, on entasse, on entasse, et on se retrouve avec une tonne de bouquins qu’on n’a pas le temps de lire… Surtout quand les bouquins en question s’avèrent faire partie d’une série de dix volumes particulièrement épais… La sage du « Livre des Martyrs » de Steven Erikson prend en effet une place certaine dans ma bibliothèque et il vient un moment où il faut vraiment décider si elle le mérite ou non. Alors il faut se lancer. Et devinez quoi ? J’ai commencé par le premier tome, « Les Jardins de la Lune », fou que je suis ! 😀

 

Quatrième de couverture :

Saigné à blanc par des luttes intestines, d’interminables guerres et plusieurs confrontations sanglantes avec le Seigneur Anomander Rake et ses Tistes Andii, le tentaculaire Empire Malazéen frémit de mécontentement.

Les légions impériales elles-mêmes aspirent à un peu de répit. Pour le sergent Mésangeai et ses Brûleurs de Ponts, ainsi que pour Loquevoile, seule sorcière survivante de la 2e armée, les contrecoups du siège de Pale auraient dû représenter un temps de deuil. Mais Darujhistan, la dernière des Villes libres de Genabackis, tient encore et toujours bon et l’ambition de l’Impératrice Laseen ne connaît aucune limite.

Cependant, il semble que l’Empire ne soit pas la seule puissance impliquée. De sinistres forces sont à l’oeuvre dans l’ombre, tandis que les dieux eux-mêmes se préparent à abattre leurs cartes…

 

Une immersion à la dure…

« Les Jardins de la Lune » est un roman qui, au sein de cette énorme saga du « Livre des Martyrs », possède plusieurs particularités. Au delà du fait qu’il soit le plus court de la série (presque 650 pages bien remplies quand même) et le premier tome par lequel le lecteur doit passer (logique) avant d’éventuellement aller plus loin, le roman fut tout d’abord le scénario d’un film qui n’aura jamais vu le jour, puis le récit s’est transformé en roman finalisé presque dix ans avant sa première publication en 1999. Un récit presque de jeunesse pour son auteur Steven Erikson qui n’avait auparavant publié que trois novellas et un roman sous pseudonyme. Pourquoi je vous expose cela ? Pour, peut-être, expliquer en partie la relative aridité du roman, qui plonge le lecteur in media res, dans un monde qu’il ne connait pas et au sein d’une guerre d’expansion qui dure depuis déjà plusieurs années et dont il connait ni tenant ni aboutissant. La plongée au sein de cet univers est un peu rude, et je m’amuse à m’imaginer qu’en voulant « casser les codes » de la fantasy adulte d’alors, Steven Erikson s’est aussi un peu perdu en chemin en oubliant les « règles » structurelles et narratives qui permettent à un écrivain d’immerger en douceur son lecteur dans un nouvel univers.

Ceci dit, les règles sont aussi faites pour être jetées par la fenêtre et cette manière de balancer un lecteur au sein d’un univers qui ne dévoile rien facilement rend la chose finalement « réaliste » en un sens, comme si on était transporté en vrai, physiquement, dans un nouvel univers : il a un passé, un présent, une géographie, une géopolitique, des protagonistes importants, et il ne faut pas compter sur une avalanche de renseignements livrés par des personnages qui savent très bien de quoi ils parlent et qui n’ont pas besoin de partager ce qui sont, pour eux, des évidences. Il appartient donc au lecteur d’être attentif, concentré, et d’être disposé à une certaine forme de « lâcher prise », accepter de ne pas tout comprendre pour remettre progressivement les éléments dans l’ordre et commencer à assembler les morceaux d’un vaste puzzle. D’autant qu’il ne faut pas compter sur le style d’Erikson, assez dense et touffu, pour faciliter les choses. Et cela, comme en pas mal d’autres d’ailleurs, on sent bien que Steven Erikson se place en héritier direct de Glen Cook et sa « Compagnie Noire », qui ne facilitait pas la tâche du lecteur mais qui le récompensait largement par la suite.

Ceci étant posé, on peut donc se plonger dans ce monde où l’Empire Malazéen, dirigé par l’Impératrice Laseen, tente de conquérir le continent de Genabackis, dont la plupart des grandes cités sont déjà tombées. Parmi les douze villes dites « libres », seules deux résistent encore : Pale, qui ne tiendra pas longtemps, et Darujhistan. Mais l’Empire n’a pas encore gagné la partie puisque ses derniers adversaires ont forgé une alliance avec la cité flottante de Sangdelune, menée par le puissant Anomander Rake, leader de la race non-humaine des Tistes Andii (pas d’elfes ou de nains ici, mais des Tistes Andii, des Barghasts, des Jaghuts, des Imass, et j’en passe…)

Une guerre donc, mais pas seulement. Car l’ennemi ne semble pas être uniquement à l’extérieur des forces impériales. Laseen a en effet fait assassiner l’Empereur précédent quelques années auparavant et les forces qui étaient loyales à celui-ci se retrouvent maintenant sur la sellette, malgré leurs performances guerrières au service de Laseen. Parmi celles-ci, l’escouade des Brûleurs de Ponts, dont le sergent Mésengeai fut auparavant commandant d’une des armées impériales avant d’être destitué une fois Laseen arrivée au pouvoir. Tension, méfiance, paranoïa, tout cela n’aide pas à remplir sa mission. Surtout quand le lourd tribut payé par les Brûleurs de Ponts pour conquérir Pale semble ne pas être le fait de leurs ennemis… Et que Darujhistan s’avérera être un véritable panier de crabes entre le Conseil Municipal, organe officiel qui gouverne la cité, la Guilde des Assassins qui ne manque pas de pouvoir, et une Cabale qui semble à même de diriger bon nombre de choses de manière discrète, en sous-main. Tout cela va se percuter dans une ville que l’Empire veut prendre à tout prix, les intérêts des uns butant sur ceux des autres. Et les gros moyens, magiques ou non, seront convoqués aux risques et périls de ceux qui y font appel, pour tenter d’atteindre leur but.

Pour compléter le topo, comment ne pas mentionner une magie omniprésente basée sur les « garennes », sortes de poches extra dimensionnelles qui permettent des déplacements plus rapides et desquelles on peut tirer divers pouvoirs magiques. Il en existe un bon nombre, certaines accessibles aux humains, d’autres aux autres races, les sorciers les plus puissants pouvant en utiliser plusieurs. Et cette magie permet bien des choses, allant de bourrasques énergétiques à des transferts d’âmes, en passant par bien d’autres choses.

C’est un élément très important du récit et qui, d’une certaine manière, participe à cette impression du lecteur d’être un peu largué, car cette magie est omniprésente, mais le fait de ne pas tout à fait connaître les « règles du jeu » peut amener une certaine frustration. Allez savoir, c’est peut-être dû au fait que je lis trop de SF et pas assez de fantasy et que j’ai pris l’habitude d’avoir une base « concrète », physique (au sens scientifique du terme) sur laquelle me reposer, au lieu d’accepter « la possibilité de tous les possibles » comme peut le faire la fantasy…

D’autant que par dessus cette magie, il faut aussi compter sur les dieux qui n’hésitent pas à interférer dans la destinée des mortels, en jouant leur propre carte dans un but bien obscur comme on peut s’y attendre venant de dieux (puisque leurs voies sont bien sûr impénétrables, du moins pour le moment). Garennes, possessions, transformations, utilisation d’éléments enchantés,  créatures d’outre-tombe et/ou immortelles, peuples nombreux et anciens au passé significatif, autant d’éléments qui ont tous leur importance, même si elle n’est pas toujours simple à discerner, voire même impossible à faire à l’issue du récit puisque s’il propose bien une fin à son intrigue principale il ouvre évidemment sur la suite et que tout n’est pas encore dévoilé (souvenons-nous : dix tomes…). Il reste donc encore bien des questions en suspens.

Le roman propose donc une fantasy « grand format » avec quelques scènes impressionnantes mais pas encore trop d’epicness de la mort qui tue parce qu’il faut quand même en garder sous le pied pour plus tard. Mais les personnages, hommes comme femmes, s’ils ne m’ont pas encore tout à fait convaincu (c’est pourtant sur ce point que j’attendais le plus le roman…) sont quand même entrés dans ma tête pour y laisser leur trace. Loquevoile, Mésengeai, Kalam, Ben le Vif, Outil, Anomander Rake (et bien d’autres car ils sont TRÈS nombreux !), ils ont tous quelque chose à offrir et on saluera Steven Erikson de n’en avoir négligé aucun.

Et on saluera aussi l’effort du traducteur Emmanuel Chastellière d’avoir trouvé des équivalents français à tous ceux pour lequel cela était possible. On pourra débattre de l’onomastique et de l’effet de la traduction de certains noms propres (Whiskeyjack ou Mésengeai ? Tattersail ou Loquevoile ? Hairlock ou Toupet ? Crone ou Mégère ? Caladan Brood ou Caladan Rumin ? Nightchill ou Frissombre ? Crokus Younghand ou Crokus Jeunemain ?…) face à d’autres qui n’ont pas d’équivalent français (car ils ne signifient rien) mais qui sonnent anglophones (Anomander Rake) mais il y a eu un réel effort, sans oubli, contrairement par exemple au « Trône de fer » où certaines très jolies trouvailles (on se souvient de Vivesaigues pour Riverrun par exemple) côtoient des oublis incompréhensibles (Winterfell ?).

Bref, je pourrais encore m’étaler sur de longs paragraphes tant il y aurait à dire sur ce roman. Alors pour conclure je me contenterai de dire qu’à l’issue de ce premier tome je suis curieux de lire la suite. Pas encore hypé, ni happé, mais il y a un petit quelque chose qui s’est produit. Pas un roman facile, loin de là, mais il offre une introduction attrayante vers un univers d’une profondeur qu’on devine abyssale, sur tous les plans (je n’ai pas parlé de l’histoire de cet univers, qui remonte à plusieurs centaines de milliers d’années, rien que ça !). Reste à poursuivre l’effort avant d’être définitivement ferré, ou de laisser tomber. Il faudra que cela soit fait sans trop attendre, sinon le risque d’oublier de trop nombreux détails nuirait certainement à la pleine compréhension de la suite qui, si elle est aussi aride que ce premier tome, promet d’être une nouvelle épreuve… encore plus longue ! 😀

 

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