Dracula, de Bram Stoker
Quatrième de couverture (extrait repris depuis le site de l’éditeur) :
Une lueur se fit jour dans les yeux du comte et il dit : « Écoutez-les — les enfants de la nuit. Quelle musique ne font-ils pas ! »
Voyant, j’imagine, sur mon visage une expression qui ne lui était pas connue, il ajouta : « Ah, monsieur ! Vous autres, habitants de la ville, ne pouvez connaître de l’intérieur les sentiments du chasseur. »
Sang pour sang classique
Que dire qui n’ait pas déjà été dit sur ce roman ? Roman le plus fameux de l’auteur irlandais Bram Stoker, il a posé un jalon longtemps indépassable puisqu’il a en quelque sorte constitué l’alpha et l’omega concernant la figure du vampire. Stoker n’en est certes pas l’inventeur puisqu’il reprend certaines bases littéraires déjà posées par d’autres avant lui (Polidori ou Le Fanu comme dit plus haut, mais aussi Théophile Gautier et quelques autres), sans parler des bases folkloriques de la créature, mais il les a en quelques sorte figées dans le marbre, en plus d’y apporter sa propre contribution. Avec Stoker, le vampire devient une créature « établie », avec ses codes : il possède une grande force physique, il peut se transformer (chien, loup, chauve-souris, brume…), consommer du sang le fait rajeunir et lui donne une potentielle immortalité, il doit se reposer en terre consacrée, un miroir ne réfléchit pas son image, il peut se déplacer sous la lumière du jour mais celle-ci l’affaiblit, il craint les objets liturgiques ainsi que l’ail (les fleurs, pas les gousses !), et pour le tuer il faut lui planter un pieu en plein cœur en plus de le décapiter, et j’en passe…
En plus de cet aspect presque « mythologique » sur le vampire, le roman (dont on a dit, sans que j’ai pu le vérifier, qu’il fait partie des livres les plus vendus de l’histoire, après la Bible…) ne manque pas d’attrait sur le plan littéraire. C’est un parfait exemple du roman épistolaire, sans qu’il ne se contente pour autant d’échanges de lettres entre les personnages puisqu’il propose également des extraits de journaux intimes, des télégrammes, des articles de journaux, etc… Riche sur le plan formel, le roman brasse de nombreux thèmes. En le replaçant dans son contexte d’écriture, on ne manque pas de constater l’intérêt de Stoker pour la science : utilisation de phonogrammes, photos, transfusions sanguines, psychiatrie, etc.. Le personnage de Van Helsing est un représentant de cette science, parfaitement rationnel mais à l’esprit ouvert à des manifestations… surnaturelles ! C’est en fait un peu l’affrontement entre la superstition et la rationalité scientifique qu’offre le roman. Et puis bien sûr, s’agissant d’un roman vampirique, quand bien même il fut écrit à la fin du XIXe siècle, on ne peut pas passer sous silence sa charge érotique (attention, ce n’est pas non plus de la bit-lit hein !). La morsure (dans le cou !) est un symbole évidemment très explicite, et certaines scènes parlent d’elles-même (Mina Harker buvant le sang du vampire à même sa poitrine…), sans oublier la fameuse scène dans le château du comte Dracula dans laquelle Jonathan Harker est sur le point de succomber aux charmes des trois femmes vampires. Quant aux femmes du roman, elles offrent deux personnages très différents. D’une part Lucy Westenra, jeune femme de pensée assez libre qui succombera aux attaques du vampire, et Mina Harker, son amie beaucoup plus consensuelle et fidèle à son mari (et qui survivra, elle, faut-il y voir ici une leçon donnée par Stoker ? 😉 ), donc beaucoup plus classique d’une certaine manière, mais qui participera activement à la traque de Dracula en montrant toute l’utilité de ses capacités intellectuelles (classement et mises au clair des notes de tous les protagonistes pour obtenir un déroulé limpide des évènements tels qu’ils sont offerts au lecteur, utilisation de la sténographie, etc…). Au XIXe siècle, ce n’est pas rien, même si le statut des femmes commençait déjà à changer à l’époque.
Et puis bien sûr il y a Dracula. Son ombre menaçante plane sur le roman, même si c’est paradoxalement (et sans doute aussi ce qui fait toute sa force) le seul personnage du roman qui ne s’exprime pas directement à travers ses écrits. Sa présence la plupart du temps hors champ, avec pour seuls indices laissés au lecteur le résultat des ses méfaits sur les personnages (Lucy et Mina en premier lieu) ou sur le microcosme londonien, le rend impalpable mais pourtant terriblement menaçant. Et son affrontement « à distance » avec Van Helsing est passionnant. Tout comme l’ensemble du roman en fait, qui se révèle être, presque 130 ans après sa parution, toujours un véritable page-turner (même s’il souffre parfois aussi, il faut le dire, de quelques longueurs).
Je n’ai pas parlé de l’intrigue du roman, mais est-ce bien nécessaire ? Roman à la mécanique bien huilée et à la construction parfaitement pensée, magnifié par un personnage iconique comme rarement (qui reste cantonnée à une menace plus diffuse que véritablement incarnée d’ailleurs), à un point tel qu’il a irrigué tout un pan de la littérature puis du cinéma, « Dracula » est un classique du genre et de la littérature tout court. Il y aurait sans doute encore beaucoup à en dire mais des spécialistes le feraient bien mieux que moi, il faut donc savoir rester humble. 😀 Son statut de grand classique est donc bien mérité, et j’ai (re)dévoré ce roman comme rarement alors que ma dernière lecture de ce texte remonte à l’adolescence.
Pour finir, un mot sur la splendide version des éditions Callidor (qui reprend la traduction d’Alain Morvan, originellement parue pour le volume des romans vampiriques à la Pléiade). Relié, avec dos toilé rouge sang, papier de grande qualité, sous une couverture (avec vernis sélectif) et des illustrations intérieures de Christian Quesnel, l’objet est superbe, d’autant qu’il bénéficie d’un vrai travail sur la maquette avec un choix pertinent de polices de caractères manuscrites pour représenter les écrits des différents personnages. Un vrai plus pour l’immersion (même si la fluidité de lecture s’en ressent forcément un peu : on ne lit pas l’écriture manuscrite aussi bien qu’une police classique…). Bravo, c’est à l’image du reste de la collection « Collector » des éditions Callidor (dont je possède déjà « Sallambô » de Gustave Flaubert et « Le grand dieu Pan » de Arthur Machen) : magnifique !
C’est, étrangement, le retour du livre illustré. En France, ça a été une folie de collectionneur avant la Seconde Guerre Mondiale, puis quasi complètement délaissé. En même temps, il faut bien faire rêver le lecteur qui se fait de plus en plus rare.
Je n’ai jamais lu le roman et je me rends compte que le film de Coppola suit assez fidèlement l’histoire originelle
Ca reste l’exception quand même, et c’est UNE collection (aux parutions assez rares) chez UN éditeur, ne généralisons pas trop vite. Mais ça existe, et c’est très bien comme ça car les livres sont magnifiques. Mais pour les non-collectionneurs, le poche reste largement plus abordable bien sûr (mais je ne suis pas sûr que cette traduction soit dispo dans ce format…).
Le film de Coppola est globalement assez fidèle il me semble oui (il faudrait que je le revois pour en avoir le coeur net), à l’exception notable de la relation entre Dracula et Mina Harker, qui tourne autour d’un réincarnation qui n’existe pas dans le roman.
Maghen en fait aussi ainsi que Sarbacane. Et au Royaume Uni, The Folio Society. Le Bélial le fait de manière plus simple. Ô cool, Callidor a sorti du Merritt. Ça me donne envie de relire ça
Oui c’est vrai il y en a quelques-uns même si ça reste plutôt du domaine de l’exception. Mais qu’ils sont beaux… Je viens de voir « Le portrait de Dorian Gray » chez Maghen, et wouaaaaah. 😉
Oui il y a du Merritt chez Callidor. Pour qui aime la fantasy « old-school », c’est vraiment une maison d’édition à connaître. 😉
Merritt, ce sont des lectures marquantes de ma jeunesse. Peut-être m’en faire offrir un jour. Et puis c’est illustré par Finlay, un illustrateur que j’adore aussi.
Ca a l’air d’être une très belle édition en effet
C’est de l’excellent travail éditorial, c’est ce genre de livre qui mérite bien le titre de « beau livre ». 😉
Aaaaaaah!! Mais oui!! Je suis tellement d’accord avec toi sur tout. Il n’a pas pris une ride. Il est bien de son époque sous de nombreux aspects, mais quel génie, quelle construction, quels personnages, quelle présence de fond!! Stoker était un génie. La manière dont tous les extraits s’imbriquent, dont certains télégrammes ou certaines lettres ne se contentent pas de *décrire* les évènements mais les *influencent*, vu que les gens communiquaient de cette manière… Un génie!!!
Une seule chose sur laquelle je ne te rejoins pas: lors de ma dernière lecture, je n’ai pas trouvé de charge ou de symbole érotique à Dracula lui-même. Les femmes sont à peu près hypnotisées quand il les approche, donc ça m’évoquait plus un viol, et il est décrit comme repoussant. En revanche, grosse charge érotique quand Harker est avec les trois femmes vampires, oui.
Calidor ne fait pas les choses à moitié. C’est jute dingo!!!!
Wouah, quel enthousiasme ! 😀
Mais c’est vrai que c’est un sacré roman ! Il n’y a pas grand chose à redire, même si les adeptes des récits qui vont à 100 à l’heure pourront peut-être le trouver un peu mou par moment. Mais sinon, c’est un chef d’oeuvre, on est d’accord.
Alors oui tu as raison pour la charge érotique, j’aurais dû faire la distinction mais j’ai tout mis dans le même sac, comme un gros goujat. Et donc oui, charge érotique pour Harker et les trois femmes vampires, charge « animalement sexuelle » (je fais dans la métaphore mais c’est clair que ça peut s’assimiler à un viol) pour Dracula sur Lucy et Mina. Ce qui dans les deux cas était tout à fait incroyable pour l’époque mais tu as raison les faits ne sont pas les mêmes.
Il faut vraiment que je l’achète, je bave dessus depuis sa sortie. Bientôt !
Ah mais oui il faut, surtout qu’apparemment cette édition se vend très bien. Je pense qu’il y aura une réimpression si nécessaire mais bon, il vaut mieux prendre les devants. 😉