Terre errante, de Liu Cixin

Posted on 9 janvier 2020
Pour inaugurer ma participation au challenge de ce cher Yogo (challenge dont je ferai une présentation plus détaillée ultérieurement, je manque de temps pour l’instant), consistant à lire des textes courts tout au long de l’année, j’ai jeté mon dévolu sur la novella « Terre errante » de Liu Cixin, à paraître le 15 janvier prochain chez Actes Sud dans la collection « Exofictions », nouvelle à l’origine du film chinois « The Wandering Earth » qui a fait un carton au box-office mondial en 2019. 

 

Quatrième de couverture :

Dans un futur proche, le Soleil se transforme progressivement en géante rouge. La Terre se meurt. Pour contrer cette extinction programmée, les Nations se regroupent pour mettre en branle un projet d’une ambition folle : transformer la planète bleue en un vaisseau spatial à part entière…

Novella écrite en 2000, Terre errante manifeste déjà tout le talent et l’imagination de Liu Cixin. L’adaptation cinématographique (2019), disponible sur Netflix, a été l’un des plus gros succès au box-office mondial.

 

Oubliez le film (sauf les belles images) !

Novella de moins de 80 pages, « Terre errante » est parue en Chine en 2000. Liu Cixin devenant particulièrement populaire dans nos contrées occidentales depuis quelques années (notamment depuis son prix Hugo en 2015 pour le roman « Le problème  à trois corps »), les éditions Actes Sud, à la faveur du film « The Wandering Earth » sorti en 2019 (mais dont le succès fut inattendu sans quoi on aurait pu parier sur une sortie simultanée film-novella…) décident donc de sortir ce texte, avant l’édition des nouvelles complètes de l’auteur en deux volumes en 2021.

Le film ne manquait pas de qualités, notamment sur le plan visuel avec quelques fulgurances pleines de sense of wonder, le tout malheureusement boursouflé d’un héroïsme à faire pâlir les blockbusters américains, et semé de « passages obligés » dans un film de ce type, avec sacrifice, musique retentissante qui n’hésite pas à jouer sur le larmoyant lorsque ce qui fait office de scénario le demande, etc… Bref, avec un fond scientifique tout sauf crédible et des acteurs qui sur-jouent à tel point que ça en devient risible (et exaspérant) « The Wandering Earth » était un film superbe, mais creux et terriblement formaté.

Bonne nouvelle, à la lecture de « Terre errante », on s’aperçoit vite que les qualités du film sont directement héritées du récit de Liu Cixin, alors que tout ce qui le plombe sont le fait de la production pour en faire un film de deux heures plein de grand spectacle fracassant. Certes, le côté scientifique est toujours à la ramasse, mais vous enlevez tout le côté héroïque du film pour le remplacer par quelque chose de plus posé, de plus intime et de plus poétique et vous obtenez « Terre errante ».

 

Techniquement irréaliste mais tellement vertigineux !

Sur le plan scientifique/technique, ok, on n’y croit pas une seule seconde. Devant la transformation prochaine du soleil en géante rouge, il a été décidé de déplacer la Terre (puisqu’aller avec un vaisseau vers une planète habitable connue, plus éloignée encore, n’est pas envisageable pour des raisons de durée de voyage dans un petit vase clos) vers l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure. Pour ce faire, la rotation de la Terre est arrêtée avec de gigantesques réacteurs, avant que ceux-ci ne servent à propulser la planète hors du système solaire. Oui c’est énorme, oui c’est totalement irréaliste.

En plus, au-delà du simple aspect technologique complètement over-the-top, Liu Cixin ne prend pas la peine par exemple d’expliquer comment peut bien vivre l’espèce humaine sur une planète régulièrement ravagée par des cataclysmes dûs à sa « préparation » à ce que l’humanité appellera « l’Ère de la Fuite », à savoir une succession de glaciations et de chaleur insoutenable au fil de l’orbite de plus en plus elliptique de la Terre avant sa sortie du Système Solaire, ravageant de facto la végétation et la faune. Mais alors, comment se nourrissent les quelques milliards d’êtres humains vivant essentiellement sous terre ? Pas d’infos.

Et figurez-vous… qu’on s’en fiche ! Parce que ce n’est pas le propos de Liu Cixin, il n’a pas la prétention de faire de « Terre errante » un récit réaliste, donc il est difficile de lui reprocher quoi que ce soit sur ce sujet. Tout comme on ne reprochait pas à Arthur C. Clarke d’inventer une faune dans l’atmosphère de Jupiter (dans « Face-à-face avec Méduse »), tout comme on ne reprochait pas à Ken Liu d’inventer une manière de revisiter le passé (dans le somptueux « L’homme qui mit fin à l’histoire »). La SF n’est pas que science, elle est aussi fiction, et c’est très bien ainsi. Et puis quand même, faire sortir la Terre de son orbite avec des milliers de propulseurs de 10 kilomètres de hauteur, traverser la ceinture d’astéroïde puis frôler l’orbite jovienne avec une Jupiter qui s’étend sur l’intégralité du ciel, ça a quelque chose de fabuleux pour l’amateur de SF.

 

Homme ordinaire vs situation extraordinaire

Il y a donc du grand spectacle plein de sense of wonder, avec nombre d’images absolument renversantes, comme dans le film. Mais on oublie le côté héroïque à outrance pour s’attarder sur la vie du narrateur, un homme qui n’est pas nommé et qui est né après le début de « l’Ère du Freinage » (la période durant laquelle la rotation de la Terre est ralentie jusqu’à l’arrêt total, avant le début d’un voyage qui doit durer… 2500 ans, soit une centaine de générations !). On suit sa vie, et en parallèle l’évolution de ce grand projet, le plus vaste et le plus complexe entamé par l’humanité.

C’est donc à la fois un récit vaste et intime, qui décrit la vie et les sentiments d’un homme, par petites touches pleines de pudeur. On y découvre aussi une nouvelle manière de vivre pour une humanité qui, contrairement à nous, a peur du soleil, ce dernier constituant dorénavant un danger mortel. Héliophobie, fête de l’aphélie, peur du périhélie, moeurs résolument tournée vers la survie délaissant le côté affectif, c’est une nouvelle société qui n’est pas épargnée par les catastrophes qui se met en place. Et le narrateur évolue en son sein, lui aussi confronté à des joies et des peines. L’espoir succède aux drames et vice-versa. La vie, en somme, différente et pourtant tellement classique.

 

Court mais marquant !

Ainsi, « Terre errante » est un texte remarquable, simple, doux, terrible. L’histoire d’un basculement, d’un changement majeur sans retour en arrière possible. Liu Cixin ne donne pas dans la surenchère d’action et de tension dramatique mais utilise au contraire une manière simple et belle de mettre l’humanité face à son destin au travers de ce projet titanesque, en utilisant le contrepoint de la vie de son narrateur, secoué par les turbulences traversées par notre planète. Un projet fou, irréaliste bien sûr, mais qui à sa manière illustre bien le fait que nous, à notre époque, n’avons pas de plan B, et que si l’explosion du soleil peut être vue comme une métaphore du dérèglement climatique, nous n’avons pas d’autre possibilité que de prendre soin de notre belle planète et de la chérir.

Un texte fort donc, dont j’étais loin d’imaginer les qualités au vu du film qui en a été tiré. Pour ceux qui n’accordent pas trop d’importance à la vraisemblance scientifique (mais rappelons que Liu Cixin ne fait que déplacer la Terre là où Ken Liu, encore lui, faisait de l’ingénierie stellaire avec des propulseurs Shkadov dans « Sept anniversaires » !…) et savent se laisser porter par les mots et les images dépeintes par l’auteur, « Terre errante » est un court récit chaudement recommandé, qui n’aurait absolument pas dépareillé dans la fameuse collection « Une heure-lumière » du Bélial’. Et quand on connait la qualité de cette dernière, c’est un gage de qualité. Superbe !

 

Lire les avis de Lune, Anudar.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Le Projet Maki » de Yogo.

 

  
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