Boule de foudre, de Liu Cixin

Posted on 14 janvier 2020
On continue avec Liu Cixin après l’excellente piqûre de rappel de « Terre errante ». Car Liu Cixin n’est pas l’auteur chinois de SF le plus connu dans le monde pour rien : il est doué. « Boule de foudre » le confirme. Il faut clairement que je lise rapidement les tomes 2 et 3 de sa célèbre trilogie du « problème à trois corps ».

 

Quatrième de couverture :

Lorsque ses parents sont réduits en cendres devant ses yeux, le soir de son quatorzième anniversaire, par l’explosion d’une boule de foudre, Chen jure de consacrer sa vie à l’élucidation de ce phénomène naturel resté une énigme pour la science. Il entreprend des études en physique atmosphérique et, lors d’une mission d’observation sur une montagne, il rencontre une jeune femme mystérieuse et séduisante, le major Lin Yun qui, elle, s’intéresse au potentiel militaire de cette foudre si particulière. Son horizon : élaborer l’arme de destruction absolue.

À mesure que ses recherches avancent, Chen est amené à collaborer avec Lin Yun. Leur quête commune les emmène au sommet de montagnes battues par la tempête, dans des laboratoires militaires d’armes expérimentales et dans une station scientifique soviétique désaffectée en pleine Sibérie. Ils pressentent bientôt que la foudre en boule est peut-être bien plus qu’un simple phénomène météorologique de notre monde…

Comme dans la trilogie du Problème à trois corps, Liu Cixin excelle à donner une forme romanesque aux concepts les plus abscons de la physique, au service d’une intrigue qui ne cesse de questionner le monde dans lequel nous vivons. Boule de foudre est un page turner d’exception.

 

Coup de boule ?

Étonnant roman que ce « Boule de foudre ». J’y suis allé non pas à reculons, parce qu’il s’agit de Liu Cixin et que « Terre errante » m’avait rappelé à quel point l’auteur sait écrire de la SF de qualité, mais c’est vrai que le pitch ne me faisait pas rêver. Oui la foudre, bon c’est sympa mais on a vu plus vertigineux. Ok, la foudre en boule est un phénomène qui commence à peine à être compris et recèle encore pas mal de mystères mais de là à en faire un roman de presque 450 pages… Grave erreur ! Car ce roman est un vrai page-turner, du genre qui vous prend dans ses filets rapidement pour ne plus vous lâcher. Certes il prend son temps dans son premier tiers pour dévoiler son potentiel, un potentiel que Liu Cixin se garde bien de dilapider trop rapidement, en faisant monter la sauce de manière régulière.

 

Coup de foudre ?

En effet, après une première scène frappante, sorte « d’origin story » dramatique du narrateur dont on ne connaît que le nom de famille, Chen, le roman déroule l’histoire personnelle de ce dernier, alors qu’il n’a de cesse d’aller vers le but qu’il s’est fixé (à l’instar de ce que lui recommandait son père), c’est à dire étudier le phénomène de la foudre en boule. Jeunesse, études scientifiques, premiers contacts avec le monde la recherche, premiers mentors, la formation du jeune Chen est assez classique mais démontre surtout que le roman semble assez proche de la réalité du terrain de la recherche scientifique en Chine (du moins d’après ce que moi, européen assez éloigné à la fois de la Chine et du monde scientifique, peut en juger). Et puis Chen fait une rencontre décisive : alors qu’il tente de rencontrer une personne ayant été témoin d’une boule de foudre, il croise le chemin de Lin Yun, une jeune militaire qui étudie elle aussi le phénomène, mais dans un but plus… guerrier.

Cette rencontre, aussi courte soit-elle, sera fondamentale pour Chen, et le charisme de Lin Yun faisant le reste (non, n’allez pas imaginer une histoire d’amour, Liu Cixin nous épargne ce poncif), les deux personnages se retrouveront rapidement à travailler ensemble, l’un cherchant à crever l’abcès du drame qui a frappé son adolescence, l’autre montrant une certaine fascination malsaine envers les armes, notamment les armes « nouvelles », issues des dernières avancées scientifiques. A partir de là, Liu Cixin déroule un récit assez vernien dans le fond (Liu indique en postface que les romans de Verne et Wells ont longtemps été les seuls romans de SF traduits en Chine) dans lequel la recherche scientifique est étroitement liée à ses débouchés technico-technologiques. On pourra certes trouver dérangeant que la science ne soit développée quasiment qu’au travers des applications militaires mais rappelons-nous que nous sommes en Chine… Et donc, on suit les avancées de la science, les découvertes, les surprises même, puis les différentes possibilités techniques qui en découlent. Le tout est assez prenant, pour peu qu’on adhère à une forme parfois un peu trop didactique.

 

Obsessions scientifiques

Et puis, et puis… Liu Cixin s’amuse avec la science, et la boule de foudre ne restera bien vite pas qu’un « simple » phénomène météorologique. Dès lors, les concepts utilisés, même si d’après un certain scientifique Harkonnen ils sont scientifiquement douteux, commencent à flirter avec un certain « sense of wonder » typiquement SF. On pourra regretter que Liu Cixin ne s’aventure pas plus dans des perspectives résolument vertigineuses, préférant rester sur le plancher des vaches, il n’empêche que sa manière de s’emparer de la mécanique quantique pour la mettre en scène sur le plan macroscopique a quand même quelque chose d’assez grisant.

Mais les personnages ne sont pas en reste, au premier rang desquels s’illustrent particulièrement Chen et son obsession de jeunesse, Lin Yun et son obsession des armes et le scientifique Ding Yi et son obsession d’en découvrir scientifiquement toujours plus. Des personnages vivants, crédibles, touchants par moments, parfois glaçants aussi, voire terrifiants quand on constate qu’ils ne vivent qu’à travers leur obsession, oubliant tout le reste, oubliant jusqu’à leur propre vie. À ce titre, le roman est scindé en trois parties, les deux premières se soldant par un constat d’échec et des séparations, alors que la troisième est contée sous forme de flashbacks, comme si le deuxième échec signait la fin de partie pour Chen, qui sort du décor « qui compte » de la science liée à la foudre en boule.

 

Science sans conscience…

Parlant de science et d’armée, le roman n’évite bien sûr pas la réflexion sur le rôle (et la responsabilité) des scientifiques dans le développement des armes de destruction massive, Ding Yi navigant à ce titre sur le fil du rasoir, à moins que lui-même ne sache pertinemment où il met les pieds et ne l’accepte sciemment.

Spoiler !
Je me contente d’assumer mes quelques misérables responsabilités, voilà tout. Tu imagines vraiment que j’en ai quelque chose à faire de tout le reste ? Je n’en ai rien à faire. Aucun physicien n’en a jamais rien eu à faire ! Au siècle dernier, les hommes qui ont remis aux ingénieurs et aux militaires les équations et les méthodes de libération de l’énergie atomique, avant de prendre des mines naïvement attristées devant Hiroshima et Nagasaki… quelle bande d’hypocrites ! Moi, je te dis qu’ils mouraient d’envie de voir ça, ils mouraient d’envie de voir les effets de l’énergie qu’ils avaient découverte ! C’était dans leur nature, ou plutôt dans notre nature. La seule différence entre eux et moi, c’est que je ne suis pas un hypocrite ! Moi aussi, je meurs d’envie de voir ce qui se passe si on mêle deux cordes composées de singularités. Tu crois que le reste m’intéresse ? Quelle blague !

En tout cas, « Boule de foudre » est une belle illustration de la recherche scientifique d’aujourd’hui, celle qui est le fruit de collaborations, celle qui ne peut se faire seul dans son coin, celle qui dès qu’elle répond à des questions s’empresse d’en soulever d’autres, celle qui nécessite du temps (parfois sans obtenir de résultats probants) et de l’argent, celle qui se nourrit des avancées techniques qu’elle amène et qu’elle réutilise pour aller encore plus loin. C’est en ce sens que le roman est vernien, dans une sorte d’ode à la science et aux techniques, quand bien même elle peuvent être détournées à des fins militaires.

Mais le côté militaire ne possède-t-il pas lui-même une ligne jaune à ne pas franchir ? La fin du roman est à ce sujet un bel (?) exemple d’une science au service de l’armée et qui finit par en être le frein, pour le bien de l’humanité (même si la conclusion est peut-être un brin optimiste en ne rentrant pas dans le détail de ce qui découle du dernier acte…) alors que la guerre fait rage entre la Chine et… l’ennemi (que l’on devine sans peine être les USA même s’ils ne sont pas nommés).. Jusqu’à la prochaine découverte…

 

Coup de foudre en boule !

Ainsi donc, « Boule de foudre » est un nouvelle réussite de Liu Cixin, datant de 2004 en VO (2019 chez Actes Sud en français) et donc antérieure à la trilogie qui l’a rendu célèbre mais qui n’en reste pas moins extrêmement plaisante à lire. Des personnages crédibles, une illustration de la recherche scientifique réaliste, un sense of wonder qui répond présent, il y a finalement peu de choses à dire sur un roman qui m’a parfaitement tenu en haleine. Il est fort ce Liu Cixin !

 

Lire les avis de Gromovar, Feyd Rautha, Blackwolf, Anne-Laure, Gepe.

 

  
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