Bifrost 100, spécial Thomas Day
Puisqu’être à la bourre est une vocation chez moi, voici encore un rattrapage pour le Bifrost avec le numéro 100, un numéro ô combien symbolique. L’occasion de marquer le coup avec un dossier sur un collaborateur de longue date et l’auteur qui a le plus publié de textes dans la revue : Thomas Day et son avatar dans la vraie vie, Gilles Dumay.
Les rubriques habituelles
Après un édito regardant en arrière avec un brin de fierté (et c’est bien normal) l’historique du Bifrost, on trouve comme d’habitude un volumineux cahier critique sur les parutions récentes, une double-page incisive et drôle (même si ça fait régulièrement grincer quelques dents) de Thomas Day sur les revues, une interview de Nicolas Martin qui revient sur son parcours et sur l’émission « La méthode scientifique » qu’il anime sur France Culture (intéressante mais j’aurais aimé qu’il revienne plus amplement sur son rapport et son parcours en science-fiction), un article « Scientifiction » de Roland Lehoucq dont le sujet passionnant, l’antimatière, est aussi une manière de nous montrer qu’entre science et science-fiction il y a parfois un monde (car oui, la propulsion à l’antimatière c’est… compliqué ! 😀 ), et quelques infos en vrac.
Le dossier Thomas Day
Le gros dossier de ce numéro est donc consacré à Thomas Day, auteur présent au sommaire du tout premier Bifrost il y a près de 25 ans, celui qui a publié le plus grand nombre de textes dans la revue (18 nouvelles en comptant les deux présentes au sommaire de ce numéro 100), et qui a collaboré très régulièrement, d’une manière ou d’une autre, à la plupart des numéros. 68 pages pour ce dossier qui débute par une interview-fleuve de 37 pages dans laquelle l’auteur se livre sans fard sur sa vie, personnelle et professionnelle. Parfois touchant, parfois grinçant, parfois énervant, c’est surtout une grande honnêteté qui prédomine, venant d’un homme qui a au départ baigné dans le fandom avant de passer de l’autre côté, dans la sphère professionnelle du secteur. C’est donc une bonne part de l’histoire éditoriale de la SF en France (en tout cas des trente dernières années) qui se livre ici. C’est partial forcément, c’est orienté, mais c’est personnel et c’est bien tout l’intérêt d’une interview de ce genre. Et c’est donc passionnant.
Suit ensuite le traditionnel guide de lecture des oeuvres de Thomas Day, quasi-intégral (voire vraiment intégral, en tout cas côté parutions en volumes, je n’ai pas vérifié). Ca donne bien évidemment quelques pistes de lecture et une wishlist qui grandit un peu plus encore.
Ugo Bellagamba s’exprime ensuite sur sa collaboration avec Thomas Day qui a débouché sur deux roman écrits à quatre mains : « L’école des assassins » et « Le double corps du roi ». Plus qu’un collaborateur, un ami, même si leur routes éditoriales ont depuis pris des directions différentes.
Et enfin, la traditionnelle bibliographie de Alain Sprauel. Celui qui veut se faire une intégrale de Thomas Day va avoir du boulot, surtout du côté des nouvelles, disséminées dans d’innombrables revues et autres fanzines…
Les nouvelles
Numéro spécial Thomas Day oblige, on commence par… Thomas Day, hé ouais, avec « La bête du loch Doine », dans une Ecosse médiévale peut-être un brin uchronique, qui voit Zeite, un ancien rabbin qui a perdu la foi et qui tente de la retrouver en étudiant d’autres religions (le Coran ne l’a pas convaincu et le voilà qui tente sa chance avec la religion de l’Arbre, à forte consonnance scandinave avec un zest de culte celtique). Il se voit assigner une mission : aller « marteler » les arbres destinés à être coupés, plus loin au nord. Il y fera deux rencontres déterminantes.
Cette nouvelle s’inscrit dans un ensemble pas tout à fait délimité dont fait partie l’excellente nouvelle « Noc-Kerrigan » parue dans le Bifrost 76 et que j’ai relu pour l’occasion, avec toujours autant de plaisir. « La bête du loch Doine » m’a également tout à fait convaincu : le contexte est très intéressant, bien décrit, mystérieux, intrigant, et possède ce combo qui me fait bien souvent craquer, à savoir une nature omniprésente et un fort goût de spiritualité celto-scandinave, un brin mythologique. Oui, ça fleure bon le Robert Holdstock des « Mythagos », dans un style malgré tout très différent, parce qu’on parle quand même de Thomas Day hein. 😀
Et donc j’ai adoré cette nouvelle, malgré son goût de trop peu. Elle est certes d’une taille respectable et son contenu est à la hauteur, mais sa conclusion tourne court et donne l’impression que le texte est une formidable introduction à quelque chose de plus vaste et plein de promesses. C’est un peu dommage, mais ce récit m’a malgré tout transporté ailleurs le temps de sa lecture, et ça, ça n’a pas de prix. Je suis prêt à replonger dans cet univers dès que l’auteur le voudra bien. 😉
« Circuits » de Rich Larson est un joli tour de force, pour plusieurs raisons, dont certaines que je préfère taire pour ne gâcher la surprise du lecteur. Je préfère rester évasif et signaler que ce texte nous présente une IA chargée du bien-être des passagers d’un train, les dits passagers ne semblant guère être réactifs aux bienfaits et autres petits soins que leur offre Mu, puisque c’est ainsi que se nomme cette IA. On finit par comprendre le problème : cela fait presque 25000 jours que Mu poursuit son circuit sans s’arrêter, les passagers sont morts, et sans doute le reste de l’humanité également. Mais alors, où est l’espoir ? Et pour qui ? C’est joli, c’est subtil, c’est malin et c’est émouvant alors que ça pourrait tout à fait ne pas l’être. Vous ne comprenez pas ce que j’essaie de vous dire ? C’est normal, lisez ce texte et vous comprendrez. C’est un avant-goût du recueil « La fabrique des lendemains » du même Rich Larson, et ça donne évidemment très envie de s’y mettre.
Catherine Dufour, avec « Des millénaires de silence », au titre transparent quand on prend conscience du sujet du texte, s’intéresse à la vie et aux tracas de Claude, une femme qui grandit plus que de mesure et doit se confronter au regard et aux idées préconçues des autres, et de Caroline, une vieille dame aisée qui sent le terme de sa vie arriver mais peut-être pas assez vite, du moins du point de vue de sa famille. Poids du regard d’autrui, pressions sociales, professionnelles et familiales et libertés des femmes sont les thèmes majeurs de ce texte finalement assez peu fantastique à la conclusion au fort goût de « Thelma et Louise ». Efficace et très parlant.
Thomas Day again, avec un titre tranchant qui lui va comme un gant : « Décapiter est la seule manière de vaincre ». L’univers (futuriste et japonisant, une marotte de l’auteur) est à peine esquissé, les enjeux du texte, hormis l’aspect très factuel qui y est décrit (un duel, ou plutôt une série de duels au sabre (puisque l’esprit des participants est « sauvegardé », une issue fatale n’est pas la fin : il suffit de réintégrer l’esprit dans un nouveau corps) entre un cadre de Sony et une mystérieuse femme du clan Fujitsu) sont assez vagues (une vengeance envers un homme jugé rétrograde et misogyne, avec à la clé une montée dans les échelons hiérarchiques), mais l’écriture acérée permet de se concentrer sur ce qui est mis en scène, sans diluer l’action qui culmine dans ce duel court mais terriblement… tranchant là encore. Et la fin en forme de twist fonctionne, pour un résultat propre et net, sans gras. Un texte affuté comme le hasaki d’un katana.
Pour conclure
J’ai donc, avec ce numéro illustré de main de maître (mais comment pouvait-il en être autrement ?) par Guillaume Sorel (dont on attend d’ailleurs avec fébrilité la conclusion de sa collaboration shakespearienne avec Thomas Day), pu lire (avant la clôture des votes même si cet article paraît bien après, et même après la révélation des gagnants !… Oui, être en retard devient un engagement pour moi ! 😀 ) les dernières nouvelles éligibles au Prix des lecteurs de Bifrost 2020.
Et découvrir un joli dossier, honnête, touchant et éclairant sur une personnalité de premier rang du secteur éditorial de la SF en France, qui permet de mieux cerner (si ce n’est comprendre) l’homme et par extension l’éditeur. Place au Bifrost 101, déjà paru. Après tout le monde ? 😀
Critique écrite dans le cadre du challenge « #ProjetOmbre » de OmbreBones.
On se fait une compète pour savoir qui chroniquera les nouvelles du 101 le plus à la bourre ? :p
Si tu veux ! 😀
Qui part favori ? 😉
L’interview a l’air vraiment intéressante, « à la Thomas Day ». Mais bon, en même temps, est-ce que Thomas Day sait faire de la langue de bois ? ^^
Et ce n’est que grâce à toi que je réalise que Guillaume Sorel est le dessinateur de « Macbeth ». Le sens du détail jusqu’au bout.
Guillaume Sorel est immense, Guillaume Sorel est fabuleux, Guillaume Sorel est monstrueux. Limite Guillaume Sorel EST Griaule. Ou l’inverse, je ne sais pas… 😀
Thomas Day et langue de bois ? Deux termes qui ne vont en effet pas très bien ensemble… 😉
Fais gaffe, tu es à la limite du blasphème.
(m’enfin, faudrait quand même que je lise du Guillaume Sorel un jour)
Oui il faut (lire et admirer). 😉
Rien que pour la couv ?
Ca peut se concevoir. C’est vrai qu’elle envoie du lourd cette couv’ !
Merci pour le résumé. Pas assez intéressée par l’auteur pour lire un magazine qui lui est consacré, je suis contente de lire de quoi ça cause sans faire l’effort.
Lorhkan, mes émojis ne passent pas dans mes commentaires, je t’assure que mon commentaire ne se voulait pas cassant comme il en a l’air sans smiley!! 😀 😀
Non non pas cassant, rassure-toi, je ne l’ai pas pris comme ça. Et puis quand même, c’est tout à fait ton droit de ne pas être intéressée par l’auteur, sans avoir à mettre un smiley pour faire passer le message en douceur. 😉 Mais c’est vrai qu’on se demande toujours comment l’interlocuteur va interpréter les messages, sans le lien physique pour aider à la communication. Et comme on s’appuie depuis longtemps sur ces smileys, on a pris l’habitude de les utiliser et de se reposer sur eux.
Pour les smileys justement, je n’ai pas installé d’extension spécifique, les seuls émojis qui fonctionnent sont ceux reconnus de base par WordPress. C’est assez limité c’est vrai…
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