New York 2140, de Kim Stanley Robinson

Posted on 29 juillet 2021
Kim Stanley Robinson, à 69 ans, est toujours sur le devant de la scène SF. Célèbre pour sa trilogie martienne écrite dans les années 90, il continue de creuser son sillon, celui de la SF un brin aride mais très documentée, oscillant entre conquête spatiale (que son roman passionnant « Aurora » finit de placer dans la case « vaine ») et anticipation climatique (notamment sa trilogie climatique dans les années 2000, sorte de cri d’alerte sur ce qui nous attend dans les décennies à venir, ou bien « SOS Antarctica »). Son dernier roman paru en France, « New York 2140 » trouve pleinement sa place dans cette dernière catégorie, imaginant une Grosse Pomme contrainte de faire avec la montée des eaux due au réchauffement climatique.

 

Quatrième de couverture :

Avec l’élévation du niveau des mers, chaque avenue est devenue un canal, chaque gratte-ciel, une île. Pour les habitants d’un immeuble de Madison Square, cependant, New York en 2140 est loin d’être seulement une cité submergée par les eaux.

Il y a le trader, qui trouve des opportunités là où d’autres voient des problèmes. Il y a la policière, dont le travail ne disparaîtra jamais… de même que celui des avocats, bien sûr.

Il y a la star d’Internet, adulée par des millions de personnes pour ses aventures en dirigeable, et le gérant de l’immeuble, respecté par tous pour son souci du détail. Et puis il y a deux gamins qui n’habitent pas ici, mais qui n’ont pas d’autre foyer, et qui sont plus importants que quiconque pourrait l’imaginer.

Enfin, il y a les codeurs résidant temporairement sur le toit, et dont la disparition provoque une série d’événements qui vont menacer la vie de tous, et jusqu’aux fondations secrètes sur lesquelles repose la ville…

Bienvenue à New York en 2140.

 

New York les pieds dans l’eau

Le titre dit tout : nous sommes à New York, en 2140. Sous l’effet de ce qui fut appelé des « Impulsions », deux brusques montées des eaux dues au réchauffement climatique, le niveau des mers s’est élevé d’une quinzaine de mètres, conduisant New York à être partiellement recouverte, notamment le quartier de Manhattan qui est, ne l’oublions pas, une île. Ainsi, toute la partie sud du quartier a les pieds dans l’eau, soit en permanence, soit au gré des marées. La vie new-yorkaise a évidemment été bouleversée mais les habitants, du moins ceux qui sont restés, se sont adaptés. Et l’on suit donc quelques-uns de ces habitants, comme deux gamins un peu paumés à la recherche d’un ancien trésor enseveli, une inspectrice de police, une star du cloud et protectrice de la nature, un trader maladroit avec les femmes, deux codeurs financiers résolus à faire changer le système, une femme chargée de gérer une association de résidents, et le concierge (ancien plongeur professionnel) de l’immeuble (la Metropolitan Life Tower) autour duquel tourne l’essentiel du roman.

A partir de là, Kim Stanley Robinson, plutôt que de développer une intrigue dense (ce que l’on serait en droit d’attendre en voyant les plus de 650 pages bien tassées en grand format), préfère insister sur la vie de ses personnages, marquée par quelques éléments qui finiront par devenir un fil rouge relativement ténu, à savoir une chasse au trésor, un enlèvement, une monumentale tempête, une OPA hostile sur la MetLife Tower, un sabotage, un changement de paradigme financier, et quelques autres petites choses. Tout est plus ou moins lié, mais ne sert qu’à mettre en lumière le propos de l’auteur sur le système économique et insister sur l’aspect écologique du texte, en plus d’être une ode à la ville de New York, toujours obnubilée par l’argent, toujours sûre de sa puissance et de son aura, et en définitive toujours fascinante.

Car « New York 2140 » est avant tout un texte écologique, économique et social, et donc avant tout politique, peut-être même presque avant d’être un roman. Ou pour être plus juste, comme je le laisse supposer plus haut, l’aspect narratif s’efface assez régulièrement devant le propos politique du texte. Mais ne fuyez pas pour autant ! Car même si à l’évidence ce roman ne peut pas plaire à tout le monde, il a malgré tout des atouts pour le rendre si ce n’est indispensable, au moins extrêmement pertinent.

D’une part, il offre une vision saisissante d’une ville autrefois sûre d’elle, peut-être un peu trop, et qui se trouve obligée de s’adapter à une situation d’urgence. Pour cela, ses habitants ont développé de nouveaux modes de vie, de nouveaux « way of life », entre crypto-monnaies locales et fermes aériennes, déplacements urbains par de nouveaux moyens de locomotion (fluviaux : le sud de Manhattan est surnommé « Super Venise », car il faut toujours que New York fasse plus que les autres, ou via des passerelles aériennes) et villages célestes, intensification de l’aquaculture et utilisation de skimboards pour remonter les avenues en s’aidant des marées. Tout un tas de « lifestyles » nouveaux qui font que New York reste toujours New York, même sous les eaux.

D’autre part, et même si c’est un aspect un peu « lourd » pour qui n’est pas passionné par le sujet, Kim Stanley Robinson ne manque pas de critiquer un capitalisme toujours prêt à faire de l’argent, quelles que soient les circonstances, notamment ici en spéculant sur la partie immobilière de la ville qui a les pieds dans l’eau avec la création d’un indice spécifique. Un indice pouvant aller à la baisse quand un immeuble submergé finit par s’écrouler, faisant fi de toute considération humaine. Capitalisme inhumain qui a profité du réchauffement climatique pour faire encore plus d’argent ? Oui, on en est là, sans avoir aucunement tenu compte des leçons apprises lors de la crise de 2008, un élément qui revient régulièrement dans le récit. Et le contraste est d’autant plus fort entre la partie sud de Manhattan, dont les immeubles anciens sont de grandes colocations avec cantines communes, et la lointaine partie nord qui est devenu le nouveau centre financier de la ville avec ses immenses gratte-ciels de 300 étages frôlant les deux kilomètres de hauteur…

Et enfin, l’inévitable côté écologique, qui n’est pourtant pas moralisateur car après tout la vie continue (et le roman se situe après les catastrophes des Impulsions, que fut une époque sans doute beaucoup plus dramatique) mais que l’on ne peut que prendre comme un avertissement. Entre écologie et critique économique, on pourrait penser que « New York 2140 » est un livre un peu indigeste. Je ne peux pas totalement contredire cela, puisque l’intrigue un peu légère ne prend pas le relais sur le propos très sérieux de Robinson. Pourtant, j’ai trouvé ce roman fascinant, peut-être parce que j’ai eu la chance de voyager à New York et que je trouve cette ville absolument renversante. Peut-être aussi parce que Robinson fait preuve d’un certain optimisme (ou positivisme ?) en montrant la capacité qu’a la société de renverser les choses quand il le faut, même si rien n’est jamais acquis ni éternel. Cela donne une nouvelle perspective bienvenue alors que les fictions climatiques ont souvent tendance à sombrer dans la noirceur…

Alors même si à l’évidence le lectorat de ce roman sera forcément un peu limité, si ce n’est par la thématique, sans doute par son contenu résolument anti page-turner (et que j’ai pourtant dévoré), « New York 2140 » mérite pourtant plus qu’un simple coup d’oeil. Parce qu’il est documenté, sérieux et remarquablement réaliste (si on met de côté le fait que les projections actuelles ne tablent pas (en tout cas pas toutes…) sur une montée des eaux de 15 mètres en 120 ans, un choix assumé par l’auteur qui voulait aller vers les extrêmes tout en restant assez proche de nous chronologiquement parlant pour garder une société, notamment économique, pas trop éloignée de la nôtre). Je dois avouer que ce roman m’impose même un certain respect envers Robinson qui me semble avoir écrit là un texte important, même si son côté romanesque n’est pas suffisamment abouti.

« New York 2140 », traduit par Sylvie Denis et illustré par une belle couverture de Stephan Martinière, n’est donc certes pas un roman fun car Kim Stanley Robinson n’écrit pas vraiment ce type de romans, mais sur une liste d’auteurs capables de donner un statut de respectabilité à une SF érudite, documentée et assurément politique, Robinson figure certainement dans les toutes premières places, et ce « New York 2140 » mérite à ce titre bien des éloges.

 

Lire aussi les avis de Alias, Inod, Marc Rastoin, Gloubik.

 

  
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