Le seigneur de Samarcande, de Robert E. Howard

Vous reprendrez bien un peu de Robert Howard ? Non parce que franchement, même si ses récits peuvent ne pas plaire à tout le monde (mais lesquels peuvent y prétendre ?), il faut bien avouer qu’il s’en dégage toujours une puissance et une aura rarement égalées. Alors, avec « Le seigneur de Samarcande », laissons de côté l’aspect fantasy de son oeuvre pour attaquer son versant historique, pas moins passionnant.

 

Quatrième de couverture :

Elle était grande et superbement bâtie, avec une silhouette pourtant élancée. De sous son casque d’acier s’échappaient de longs cheveux rebelles qui tombaient sur ses épaules robustes en une cascade d’or roux étincelant au soleil.
— Hé, Sonya la Rousse ! s’écria un homme d’armes. Fais-leur en baver, ma fille !
— Fais-moi confiance, compagnon, dit-elle tout en approchant la mèche enflammée du canon.
Une formidable détonation noya le reste de ses propos et un nuage de fumée aveugla ceux qui se trouvaient sur la tourelle. Sonya la Rousse poussa un hurlement de joie sincère. Les Turcs gisaient à terre, le crâne fracassé et le corps déchiqueté. À cet instant, une puissante clameur retentit de l’autre côté des murailles.
Gottfried von Kalmbach s’approcha des créneaux. Il avait déjà entendu ce cri à glacer le sang : les Janissaires se lançaient à la charge. Soliman le Magnifique n’avait pas l’intention de perdre de temps avec cette ville qui lui barrait la route vers une Europe impuissante. Il comptait bien abattre ces murailles dès le premier assaut…

Après Conan et Solomon Kane, voici réunis en un volume tous les récits épiques issus de l’imagination fertile de Robert E. Howard, l’inventeur de l’heroic-fantasy moderne. Des croisades au siège de Vienne en 1529, Cormac FitzGeoffrey, John Norwald, Gottfried von Kalmbach et d’autres aventuriers howardiens luttent et meurent dans un monde secoué par des conflits titanesques.
Cette édition, élaborée par Patrice Louinet, l’un des plus éminents spécialistes internationaux de Robert E. Howard et de son oeuvre, est agrémentée de textes inédits en France et bénéficie de traductions nouvelles et non censurées, basées sur les manuscrits originaux. Un ouvrage absolument exceptionnel qui comprend la seule et unique apparition d’un personnage qui fera date : Sonya la Rousse.

 

Robert E. Howard et l’Histoire

Pas de fantasy ici, pas de monstres cachés au fond d’une obscure caverne, pas de contrées imaginaires. Robert Howard, puisqu’il avait trouvé un débouché éditorial pour des récits historiques, reste donc ici plus « terre à terre », ce qui ne l’empêchera de jouer avec l’Histoire (un sujet qui le passionne) et de mêler faits historiques avérés et fiction. Et comme on va le voir, malgré une certaine répétitivité des récits (un problème inhérent à ce type de recueil thématique alors que les textes d’Howard paraissaient à l’époque au fil de la sortie des pulps), cette association donne bien souvent des textes de très grande qualité.

Sans fait un inventaire complet des nouvelles présentes au sommaire (ce qui m’arrange bien, ma lecture commence à dater… 😀 ), il me faut tout de même présenter quelques-uns des personnages qui défilent devant les yeux du lecteur. Ils sont nombreux, Howard avait, sur le plan historique, beaucoup d’ambition et du fait qu’il ne cessait de changer d’époque à chacun de ses textes ou presque, ses personnages n’étaient que rarement réutilisés. Mais l’archétype de son héros reste assez souvent le même : un homme, taciturne, bourru, européen, au passé compliqué, plongé dans le tourment des Croisades (mais pas que).

Howard nous montre donc les aventures de Cormac FitzGeoffrey, au sang mêlé de Normand et de Gaël (seul personnage à occuper deux nouvelles, l’excellente « Les faucons d’Outremer » où il rencontre rien de moins que le célèbre Saladin et la nettement moins convaincante « Le sang de Belshazzar »), du Franc Godric de Villehard (dans « Les épées rouges de Cathay la Noire ») qui, lui, croisera la route de Gengis Khan, d’un héritier du trône d’Irlande nommé Cahal Ruadh O’Donnel (dans « Les cavaliers de la tempête ») qui rencontre Baïbars, etc… Le parti d’Howard est clair : mélanger fiction et Histoire (fantasmée…) pour « doper » ses textes à l’héroïsme, à l’honneur (mais pas toujours), à la violence, le tout dans une ambiance orientale pour plonger le lecteur dans ce qui n’est pas de la fantasy mais dont le moteur reste le même : visiter une contrée inconnue où la faiblesse n’a pas droit de cité, sous peine de mort. Héroïsme oui, sans qu’il n’y ait de véritable héros (au sens noble du mot) dans ses textes : tout le monde se vaut et chacun tente de survivre, les Croisés tout comme les Orientaux.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça fonctionne sacrement bien ! Non content de mêler fiction et réalité pour un résultat bien souvent très savoureux, Robert Howard ne perd jamais sa maîtrise des scènes d’action tout en parvenant quasi systématiquement à donner vie à des héros charismatiques, qui se ressemblent souvent, certes, mais le résultat vaut bien ce petit bémol. Il y a quelques défauts certes, quelques scènes plus anecdotiques, voire parfois un peu invraisemblables, mais le plus souvent on est scotché au texte, la maîtrise narrative de l’auteur, qui n’est plus à prouver et qui déroule complots, trahisons et bains de sang réguliers ( 😀 ), faisant le reste.

Et on continue de croiser quelques grands noms, tels Tamerlan (dans « Le seigneur de Samarcande »), Soliman le Magnifique (dans « L’ombre du vautour », peut-être le meilleur texte du recueil avec son « héros » Gottfried von Kalmbach, pourtant intéressant dans le schéma « taciturne porté sur la boisson », qui se fait voler la vedette par le personnage secondaire de Sonya la Rousse, femme combattante haute en couleur, lors du siège de Vienne en 1529, instant crucial qui a vu l’Europe sur le point de s’effondrer devant l’avancée des Ottomans) ou bien Zenghi (dans « Le lion de Tibériade », où l’on voit que Robert Howard n’hésite pas, pour le bien de son récit, à faire quelques arrangements avec la réalité historique).

Et donc voilà : ça se bastonne, ça charcute pas mal, on a des batailles désespérées (y compris, dans « La route d’Azraël », récit à la première personne dont le narrateur est un Oriental, une bataille de la dernière chance de Vikings en sous-nombre face à une déferlante de Perses sur les rives du Golfe Persique !) , des actions héroïques, et tout l’attirail narratif habituel d’un Robert Howard décidément conteur hors pair, qui se permet également de changer un peu de formule dans le réjouissant récit « Les portes de l’empire » où l’on voit Giles Hobson, un ivrogne lâche comme pas deux qui, en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas, va se retrouver embarqué dans une aventure qui le dépasse totalement et qui va voir se jouer la destinée de tout un pays. Un récit plein d’humour, avec un héros loin des standards howardiens.

Ajoutons à cela des appendices composées de divers textes inachevés qui satisferont les complétistes howardiens, et surtout une postface de Patrice Louinet qui éclaire la période « historique » de Robert Howard en la replaçant dans l’histoire éditoriale des pulps de l’époque. Passionnant, comme dans chaque volume dédié à l’auteur texan. Bref, malgré un effet de répétition qui peut jouer en défaveur du recueil (mais qu’une lecture espacée des nouvelles peut atténuer), force est de constater que les textes au sommaire de ce recueil sont pour la plupart remarquablement bien construits et particulièrement efficaces. Je suis loin d’en avoir fini avec Howard, mais en l’état « Le seigneur de Samarcande » fait partie de ce que j’ai lu de meilleur le concernant.

 

Lire aussi les avis de Nebal, TmbM, Le Cimmerien, Dr Dandy, Marc Van Buggenhout, Nicolas L., Hilaire Alrune

 

  
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