L’équateur d’Einstein, de Liu Cixin

Vous vous rendez compte ? Je n’ai pas lu la trilogie du « Problème à trois corps » ! Je me suis arrêté au tome 1… Comment est-ce possible ? C’est ce que je me suis dit une fois terminée la lecture de ce recueil, premier volume d’un diptyque qui proposera l’intégralité des nouvelles de Liu Cixin. Je crois que cela montre bien ce que j’ai pensé de « L’équateur d’Einstein » dont il va être question…

 

Quatrième de couverture :

Porte-étendard incontesté de la science-fiction chinoise, Liu Cixin apparaît dans ses textes courts comme un maître de la dramaturgie cosmique en même temps qu’un écrivain profondément humaniste. Qu’il mette en scène une inversion du temps, revisite de façon très vernienne le voyage au centre de la Terre, interroge les conséquences d’une miniaturisation des êtres humains ou imagine l’application météorologique de la théorie du chaos pour stopper les guerres, Liu Cixin ne cesse d’explorer et de distordre avec profondeur et inventivité les mystères les plus insondables de la science.
Dans cette édition complète de ses nouvelles qui comptera un second volume, l’auteur de la trilogie du « Problème à trois corps » démontre comment, dès ses premiers récits et en quelques pages seulement, il parvient à créer des mondes complexes et passionnants. Toujours empreintes d’une réflexion mélancolique – et souvent humoristique – sur le sens de la vie et l’avenir de la Terre, les nouvelles et novellas de Liu Cixin rappellent avec une posture parfois presque taoïste l’insignifiance des existences et des actions humaines dans le cours ordonné (ou chaotique ?) de l’Univers.

 

Liu Cixin et le format court, tome 1

Dix-sept nouvelles sont au sommaire de recueil qui se propose, avec un tome 2 qui sortira dans quelque temps, de publier l’intégralité (ou presque…) des nouvelles de Liu Cixin. Un corpus complet qui doit se savourer pour ce qu’il est : de l’excellente science-fiction. De la science-fiction variée, sur des cadres temporels plus ou moins éloignés, parfois très proches, parfois plus lointains (y compris dans le passé…), mais avec une volonté de toujours mettre la science en avant. Pas forcément dans un cadre réaliste d’ailleurs mais avec une intention résolument positive dans son approche de la science, sans mettre de côté les aspects plus sombres mais toujours orientée vers le progrès. En cela, d’une certaine manière, Liu Cixin est le digne héritier d’un Arthur C. Clarke.

Je ne vais pas revenir sur chaque texte individuellement (on pourra d’ailleurs retrouver sur ce blog deux textes présents au sommaire de « L’équateur d’Einstein » et précédemment édités, que j’ai relus pour l’occasion avec grand plaisir, à savoir « Avec ses yeux » paru dans le Bifrost n°87 et lauréat du Prix des lecteurs de Bifrost 2017, et « Terre errante » que j’aime toujours autant dans sa manière très « pulp », over the top et pleine de sense of wonder d’envisager ce que la science pourrait rendre possible (déplacer la planète Terre vers un autre système stellaire, rien que ça !) dans le futur, paru dans un petit format déjà chez Actes Sud), mais cette ode à la science est explicite dans de nombreux textes.

Qu’il s’agisse d’éloigner la Terre d’un soleil mourant devenu danger mortel (dans « Terre errante » donc), de créer un nouveau soleil artificiel dans le ciel de Chine (la bien nommée « Le soleil de Chine ») qui devient objet d’empowerment de paysans et d’ouvriers pauvres jusqu’à une issue… « extrasolaire », de lutter contre les destructions écologiques (les océans sont devenus d’énormes blocs de glace en orbite de la Terre…) amenées par un « artiste » alien (dans le surprenant et un peu WTF au début mais finalement vraiment bon « La mer des rêves »), de tenter une nouvelle méthode de gazéification souterraine du charbon pour en extraire du gaz naturel dans le superbe « Le feu de la terre » (peut-être le plus beau texte du recueil) qu’un Jules Verne à la fois optimiste et pragmatique aurait pu écrire (car Liu Cixin ne fait pas l’impasse sur les catastrophes induites par des avancées scientifiques que les bénéfices ultimes permettent de relativiser), d’utiliser la théorie du chaos pour modifier la météo et ainsi éviter une guerre (dans « Le battement d’ailes d’un papillon »), ou bien de s’adapter à des conditions de vie qui ont radicalement changé (dans le très Gullivérien « Le micro-âge »), la science est toujours au centre de ses textes et au centre des préoccupations de ses personnages.

Une science dont la fascination qu’elle exerce sur Liu Cixin transparaît d’une manière tout fait frappante à travers les scientifiques qu’il met en scène, souvent résolument tournés vers la recherche presque comme une religion, ou à tout le moins un choix de vie qui prend le pas sur tout le reste. Ainsi, dans « Aux confins du microscopique », c’est la recherche d’un modèle unifié de la physique qui mène à un vrai basculement vertigineux. Même chose dans « L’effondrement », très bon texte (malgré une vilaine approximation scientifique…) qui mêle expansion/contraction de l’univers et redshift/blueshift jusqu’à une inéluctable fin (un peu prévisible…). Dans « L’équateur d’Einstein » (dernier texte du recueil, et on s’amusera de constater que le scientifique des trois textes sus cités s’appelle à chaque fois Ding Yi…), les scientifiques sont même prêts à l’ultime sacrifice pour connaître le grand secret de l’univers, alors que, à un niveau bien plus humble, c’est un instituteur mourant qui, au seuil de son dernier voyage, permet sans le savoir à l’humanité de survivre en transmettant quelques ultimes savoirs à ses jeunes élèves (dans « L’instituteur du village »).

Et puis, en fonction de ses propres opinions, on appréciera de voir une manière de penser un peu différente de la manière occidentale, notamment sur le plan politique/géopolitique. Dans « Le battement d’ailes d’un papillon », ce sont les bombardements américains sur la Yougoslavie que le scientifique essaie d’empêcher en jouant sur la météo, dans « L’ère des anges » c’est la bio-ingénierie génétique qui pose des questions très éthiques et c’est la suprématie morale des Occidentaux qui est remise en question face aux besoins des pays pauvres et affamés, et dans « Brouillage de toute la bande de fréquence » c’est la supériorité technique de l’Otan en guerre contre la Russie qui se retrouve balayée par une technologie russe a priori moins évoluée et handicapante pour les deux camps (nécessitant de grands sacrifices), jusqu’à ce que la solution vienne de ce qu’il est possible de faire avec le soleil. Un très bon texte mais qui prend bien évidemment des accents tout à fait particuliers (et que l’on ne souhaitera pas précurseurs…) au vu de notre triste actualité…

S’ajoutent à ces textes pour la plupart vraiment très bons quelques récits un peu moins importants mais qui restent agréables à lire, comme l’amusant « Le destin » qui m’a beaucoup fait pensé à « Un coup de tonnerre » de Ray Bradbury, « Le chant de la baleine » qui est une sorte de revisite futuriste d’un épisode de « Pinocchio » avec une chute appropriée, les mondes parallèles de « Fibres », ou bien la petite incursion SF dans la vie d’Einstein avec « Le messager ».

« L’équateur d’Einstein », pétri de textes de grandes qualité, force le respect et s’impose sans le moindre doute comme une introduction parfaite à l’oeuvre de Liu Cixin, que l’on ne manquera pas d’explorer plus avant par la suite, si ce n’est pas déjà fait. Traduit par Gwennaël Gaffric (secondé dans ce travail par Morgan Vicente, Julia Merada, Nicolas Giovanetti et Hugo Natowicz), le recueil (pour lequel on regrettera l’absence d’un peu de paratexte pour introduire les nouvelles et surtout, surtout, l’absence totale de marquages chronologiques permettant de les situer, comment est-ce possible ??) va rendre l’attente de l’arrivée du deuxième volume de cette intégrale des nouvelles de Liu Cixin bien longue… Bon, en attendant, il faudrait peut-être que je me replonge dans la trilogie du « Problème à trois corps » moi, non ?

 

Lire aussi les avis de Lune, Gromovar, Le nocher des livres.

 

  
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