Toutes les saveurs, de Ken Liu

Posted on 7 juillet 2022
On connait les deux excellents recueils de Ken Liu parus au Bélial’ (« La ménagerie de papier » et « Jardins de poussière », ses textes dans la collection « Une heure-lumière » (« L’homme qui mit fin à l’Histoire », « Le regard » et « Sept anniversaires »), ainsi que quelques autres dans la revue Bifrost. Le revoici à nouveau dans la collection dans la collection UHL avec « Toutes les saveurs », un texte qui tient presque de la littérature générale.

 

Quatrième de couverture :

Idaho City, en pleine fièvre de l’or.
Les temps sont à la conquête. De l’Ouest, bien sûr. De la fortune, surtout… Prospecteurs, commerçants, banquiers, filles de petite vertu, bandits et assassins s’agrègent en une communauté humaine au goût de mauvais whisky et à l’odeur de poudre. Et puis il y a ce petit groupe de prospecteurs chinois. Qui vivent entre eux, s’entassent dans des baraquements minuscules, et font planer sur la ville les effluves de leur cuisine aux saveurs aussi épicées qu’inconnues. Lily, la fille de leur propriétaire, est fascinée par ces étrangers aux coutumes impénétrables. Et par l’un d’entre eux en particulier, un géant au visage rouge et à l’immense barbe, Lao Guan, qui lui apprend les mystères du wei qi et lui raconte des récits stupéfiants, les aventures de Guan Yu, le dieu de la guerre, de Lièvre roux, son cheval de bataille, et de Lune du dragon vert, sa fidèle épée. Guan Yu, qui fait face à l’injustice et à la trahison dans cette Chine impériale fabuleuse. À l’image de Lao Guan, dans cette Amérique en gestation…

 

Le bon goût de Ken Liu

C’est la ruée vers l’or. La conquête de l’Ouest. Un pays en plein construction. A Idaho City, les prospecteurs côtoient les commerçants, les tenanciers de saloons, les malfrats aussi. Suite à un incendie qui a ravagé la ville, certains habitants partent, d’autres restent et reconstruisent, coûte que coûte. C’est le cas du père de Lily, une jeune fille curieuse qui aime passer du temps dans la nature. Ainsi, l’arrivée de prospecteurs chinois (fuyant le quasi esclavage des chantiers de chemins de fer) est bonne nouvelle pour son petit propriétaire de père qui va pouvoir compter sur un loyer.

Lily et son père, qui gardent l’esprit ouvert, vont nécessairement finir par s’intéresser à ces étrangers parfois bruyants mais dont la cuisine aux odeurs étonnantes fait saliver. Et la jeune fille va apprendre à apprécier cette culture, à travers sa cuisine, ses jeux (le wei qi, que nous nommons le jeu de go), ses légendes. L’un de ces hommes, Lao Guan, que les habitants du cru auront tôt fait d’appeler Logan, retient particulièrement l’attention : imposant, la peau rougie, une longue barbe. Celui-ci lui racontera de nombreuses histoires liées au héros légendaire Guan Yu, connu pour sa peau rouge et sa remarquable barbe (tiens tiens…), depuis son enfance jusqu’à ses actes les plus glorieux.

Alternant histoires contées d’une lointaine époque chinoise et action au présent du temps de Lily et Lao Guan, « Toutes les saveurs » est avant tout une histoire de la diaspora chinoise au temps de la ruée vers l’or. Des Chinois victimes du racisme, du plus voyant et exprimé (des « sauvages », discriminés sans arrière-pensée), au plus « ordinaire » (la transformation du nom de Lao Guan, le fait que les Chinois « se ressemblent tous », etc…), mais qui pourtant finiront par s’intégrer et être acceptés à mesure que les habitants découvrent, et comprennent, leur culture. Le Nouvel An chinois, par exemple, bonne occasion de faire la fête et se rapprocher. Des Chinois qui vont faire de ces Etats-Unis pas encore à maturité leur pays, comme l’ont fait les « barbares de l’ouest » à l’époque de l’unification de la Chine.

Les scènes au présent sont parfois touchantes, parfois dures comme l’était l’époque, mais pourtant jamais le récit de Ken Liu ne ploie sous un militantisme et une pensée politique pesants, bien au contraire il possède une vraie force littéraire autant qu’un optimisme et une douceur qui font du bien à lire.

Les scènes racontant l’histoire (ou les histoires) de Guan Yu sont plus épiques, avec plus d’emphase, avec des méchants très méchants, des injustices très injustes, des trahisons, des conquêtes, des amitiés solides dont le pacte originel fait office de fondations, mais tout cela correspond tout à fait à des textes censés montrer l’édification d’un glorieux héros parti de rien.

Les deux périodes se répondent alors que Ken Liu, et c’est le seul élément propre à rapprocher ce texte des littératures de l’imaginaire, garde le mystère sur la vraie nature de Lao Guan. « Toutes les saveurs », dont le titre, qui fait référence au cinq saveurs de la cuisine chinoise (sucré, salé, amer, aigre et piquant), peut aussi exprimer les « saveurs » ressenties par le lecteur au fil d’un texte jouant avec les émotions (fidèle à la « méthode Ken Liu« ) aussi bien que ce que ressent Lao Guan lui-même au fil de son intégration au sein des Etats-Unis (et sans doute reflet de ce qu’a vécu l’auteur, né en Chine et expatrié aux USA à l’âge de onze ans), est donc un beau récit (traduit par Pierre-Paul Durastanti) mêlant conte folklorique et réalité historique, et une ode au respect, à l’ouverture d’esprit et à la tolérance. Un texte positif qui, en ces temps troublés, fait beaucoup de bien.

 

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