Une course d’enfer, Livres de sang tome 2, de Clive Barker

Posted on 11 juillet 2022
Il y a longtemps que je suis tenté par la prose de Clive Barker, considéré par de nombreux lecteurs comme le roi de l’horreur, à tendance gore, même si limiter l’auteur à cela ne serait pas lui faire justice (il est aussi apparemment très fort pour écrire de touffus livres-univers où un certain fantastique et une part d’onirisme s’entremêlent à la réalité). J’avais tenté le coup il y a quelques années déjà avec le premier tome de sa série de recueils des « Livres de Sang », avec réussite. Il est plus que temps de prolonger l’expérience avec le deuxième volume, avant éventuellement de plonger dans un gros roman.

 

Quatrième de couverture :

Un jeune étudiant expérimente sa fascination pour la folie sur son entourage ; un coureur fantôme, dans un marathon, foudroie les concurrents de son mortel regard ; une femme se découvre le pouvoir de modeler à sa guise la structure du corps humain ; de nouveaux meurtres mettent en péril les résidents de la rue morgue…

Cinq nouvelles histoires, et cinq nouvelles confrontations de notre quotidien avec d’autres mondes, territoires de l’étrangeté au-delà de la peur et par-delà la mort… Car « aucun délice n’égale la terreur, dit Clive Barker. Irrésistiblement, nous revenons toujours à nos peurs ».

 

Déconseillé aux âmes sensibles…

Cinq nouvelles au sommaire de ce recueil, tournant toutes autour de la cinquantaine de pages pour un volume global d’environ 250 pages. Oui je suis fort en maths. 😀 Comme on va le voir, Clive Barker parvient à varier ses textes, même si on retrouve évidemment de l’une à l’autre certains « effets », avec des résultats globalement à la hauteur mais sans atteindre tout à fait la qualité du premier volume (qui avait aussi pour lui l’effet de surprise).

Le premier récit s’intitule fort justement « Terreur » et met en scène un étudiant qui rencontre un homme au charisme certain, un homme fasciné par la terreur, l’Ultime Terreur, celle terrée en chacun de nous, celle à même de nous faire perdre l’esprit si on y est confronté. Sujet malaisant certes, mais seulement un sujet d’étude dans un cadre universitaire ? Pas tout à fait puisqu’il s’avère que cet homme voudrait mettre ses théories en pratique… Et là, le malaise devient plus que palpable. « Terreur » est un remarquable texte qui ménage ses effets horrifiques (peu de sang ici) mais pas ses lecteurs mis devant des situations extrêmement dérangeantes, décrites avec une certaine finesse pour dépeindre un esprit sur le point de se rompre et de perdre pied. Le but de Barker est atteint, incontestablement, avec en plus une conclusion en forme de prophétie clownesque habilement partagée entre la terreur là encore, mais aussi le grotesque et l’horreur pure. Belle entrée en matière, malsaine et dérangeante comme on peut l’attendre de l’auteur.

Le texte suivant, qui donne son nom au recueil, « Une course d’enfer » donc (oui je suis aussi très doué en déduction ! 😀 ), est un peu plus anecdotique sur le plan psychologique mais est en revanche très rythmé. Rien d’étonnant puisqu’il s’agit pour Clive Barker de relater une course à pied, organisée dans un but caritatif. Mais ce que les participants ne savent pas, c’est que dans l’ombre se trament des choses bien plus sombres, et l’issue de la course pourrait bien sceller la chute de l’humanité aux mains du Diable en personne. Du rythme donc, et aussi quelques apparitions démoniques mémorables. Comme toujours dans tel cas, malheur aux vaincus, quels que soient leur camp…

« Le testament de Jacqueline Ess », troisième texte du recueil, revient sur des bases plus fournies psychologiquement avec cette femme qui, après une tentative de suicide, découvre qu’elle peut modeler la chair humaine selon sa volonté. Exit la femme dominée, humiliée, jamais respectée, place à une femme maîtresse d’elle même, sûre de ses choix, sûre de ce qu’elle veut, qui a du pouvoir sur les hommes et qui le sait. Une véritable renaissance qui va se faire au détriment d’un certain nombre d’hommes faibles ou qui au contraire tentent de prendre l’ascendant sur elle. Un récit sombre et sexuel, où les descriptions horrifiques sont très présentes mais qui ne prennent pourtant pas le pas sur le personnage de Jacqueline Ess, à la fois belle, indépendante, forte et tragique. Et tout se termine logiquement dans une scène d’horreur où « vraie » mort et petite mort finissent pas fusionner…

« Les démons du désert » nous plonge en plein Arizona alors qu’un homme se retrouve bien embêté quand sa voiture tombe en panne au milieu de nulle part. En cherchant de l’aide, il va être le témoin d’une étrange et monstrueuse (littéralement !) procession dont le but lui échappe, en tout cas au début, avant de se faire embarquer dans une virée vengeresque à l’issue plus qu’incertaine. Là encore, Clive Barker convoque apparitions démoniaques, descriptions horrifiques sanglantes et sexualité d’outremonde. C’est un texte dur aussi, par ce qu’il décrit en filigrane, laissant apparaître que les monstres du texte ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Efficace, avec quelques scènes très marquantes.

Déception en revanche sur le dernier récit, « Nouveaux assassinats dans la rue Morgue », dans lequel Clive Barker délaisse l’horreur pour rendre hommage à Edgar Poe en donnant une suite à l’un des textes les plus connus du célèbre écrivain américain. Il est ici question du petit-fils de l’homme qui aurait donné l’idée de son texte à Poe, le fameux détective Dupin étant lui-même le frère dudit grand-père (donc le grand-oncle du personnage en question. Oui, je suis également expert en généalogie, vous suivez ? 😀 ). On mélange donc ici réalité et fiction pour refaire une enquête digne de Poe. Sauf que c’est assez mou, assez convenu et surtout la résolution est encore plus difficile à avaler que celle du récit d’Edgar Poe, qui était déjà assez particulière. Barker a voulu pousser le bouchon encore plus loin, mais ça en devient presque grotesque. L’idée de départ était donc plutôt bonne, mais le reste ne suit pas, dommage.

Malgré cette dernière déception, « Une course d’enfer » reste un recueil de qualité, qui n’offre peut-être pas de textes aussi marquants que dans le premier volume, qui est aussi moins varié sur le plan narratif mais qui, en se concentrant assez nettement sur l’horreur parfois (souvent ?) sanguinolente et démoniaque tout autant que psychologique, parvient à maintenir une certaine densité sans s’éparpiller. Ca n’est évidemment pas un recueil à mettre entre toutes les mains mais il montre en tout cas que pour qui n’a pas peur de l’horreur, la vraie, celle qui charcle, qui tranche et qui découpe (mais pas seulement, il y a aussi une réelle profondeur psychologique et un vrai propos affirmé), Clive Barker est un incontournable.

 

Lire aussi les avis de Mr K, Chaperon Rouge, Jean-Louis Dragon

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail