Éversion, de Alastair Reynolds

Posted on 25 mai 2023
« Éversion » est le dernier roman en date de Alastair Reynolds, et il est vachement bien. Voilà, merci, au revoir. Ça c’est la version courte de ma chronique, et sans doute au fond la seule qui vaille puisque pour profiter au maximum du roman, il ne faut rien en savoir (même pas la quatrième de couverture ci-dessous), et donc pour moi, modeste chroniqueur, il faut que je n’en dise rien.

 

Quatrième de couverture (à ne pas lire pour garder l’effet de surprise nécessaire au roman) :

Qui est Silas Coade ? Où se trouve-t-il ? Et quand ?
Un médecin, sans doute, à bord de la goélette Demeter, à l’orée du XIXe siècle, perdu dans les eaux norvégiennes en quête d’un Édifice dont il ignore tout ? Ou plutôt à la fin de ce même siècle, non loin du pôle Sud, sur la trace de ce même Édifice, prêt à rejouer un désastre annoncé ? À moins qu’il ne soit dans les entretoises d’un dirigeable, quelques dizaines d’années plus tard, en route pour le cœur de la Terre, sur la piste, toujours, de cette structure cyclopéenne mystérieuse ?
Silas Coade est médecin, et il se peut qu’il ne cesse de mourir à jamais, ici, là ou ailleurs… À moins d’envisager l’inenvisageable, et d’affronter l’impensable.

 

Nooooon, rien de rieeeeeen, nooooon, je ne vous dirai rieeeeen !

Je pourrais certes faire une chronique pleine de spoilers, relevant les innombrables références auxquelles le roman fait appel, les tropes qu’il utilise, etc…, mais cela n’aurait d’intérêt que pour un lecteur qui aurait déjà lu le roman. Forcément limité. Je pourrais aussi faire une chronique sans spoilers, ne touchant à aucun des points « pivots » du texte, mais cela reviendrait à tourner autour d’un pot invisible, et à parler pour ne rien dire. Je vais donc tâcher de prendre une troisième voie, en partant de ce que le roman présente dans ses premières pages, avant d’aller là où le vent me portera, mais en évitant les spoilers (tout en faisait quelques allusions qui devraient parler à ceux qui ont terminé le récit). Parce qu’ici c’est vital. Au point même que la lecture de la quatrième de couverture, malgré tout le soin pris par l’éditeur pour donner envie à un lecteur potentiel tout en en disant le moins possible (et de ce point de vue, c’est plutôt pas mal mais je trouve qu’elle en dit quand même trop), reste à éviter.

Le roman s’ouvre donc, au XIXe siècle, avec Silas Coade, apprenti chirurgien à bord de la goélette de cinquième rang Démeter, chargé de veiller à la bonne santé d’un équipage lancé à la poursuite d’une étrangeté géographique, une sorte de fissure dans le littoral norvégien ouvrant sur un lagon mystérieux, tout cela grâce au financement d’un riche négociant qui est parvenu à mettre la main sur des documents la mentionnant alors que ce n’était pas le cas sur des cartes plus anciennes. Une campagne d’exploration qui n’aura rien de tout repos, notamment quand les avaries arrivent…

Mais ce n’est que le début, et je ne peux déjà presque plus rien ajouter. Alastair Reynolds, dont on connait l’appétence pour la hard-SF, se fait ici romancier d’aventure maritime, sans forcément s’y arrêter (et quand on connait l’auteur, on sait bien où il aime emmener son lecteur, et à ce titre une aventure maritime n’a rien d’étonnant au fond… 😉 ). Ça fonctionne bien, le suspense est présent, le côté exploration à la Jules Verne est bien là. Et ensuite… 😉 Se jouant de l’idée que se fait le lecteur de ce qu’il est en train de lire, Reynolds fait oeuvre de répétitions diverses (à l’instar de ce qu’ont pu faire Jean Baret ou Philip K. Dick dans certains de leurs récits, ainsi que bien d’autres auteurs et autrices) pour faire avancer son propos, de manière très rusée, brouillant les cartes pour mieux désorienter ses personnages. C’est malin, c’est un modèle de progression narrative et on s’amuse, à mesure que le style se modifie, à explorer différentes facettes littéraires. Et toujours de manière suffisamment prenante pour que l’effet de répétition, qui n’est d’ailleurs pas total puisque la narration ne cesse de progresser par petites touches, ne se fasse pas trop sentir. C’est un exercice d’équilibriste, mais Alastair Reynolds s’en sort haut la main.

Le reste est à l’avenant : le décor tombe progressivement à mesure que le fin mot de l’histoire se fait jour, et tout ce qui a été présenté depuis le début du texte fait sens, est cohérent et contribue à accentuer la teneur et l’humanité du propos de l’auteur. Un joli tour de force narratif pour un texte passionnant de bout en bout.

Voilà, la courte taille de cette chronique (et son caractère évasif, qui reste pour moi malgré tout un peu trop parlant…), par la force des choses, ne doit pas vous fourvoyer : ce roman est une petite merveille que j’ai dévorée en deux jours, qui s’inscrit pleinement dans une sorte d’hommage à différents genres, différents styles, et le fait avec une grâce (comme d’habitude bien rendue par l’impeccable traduction d’un Pierre-Paul Durastanti qui manie l’imparfait du subjonctif à la perfection ! 😀 ) et une maîtrise qui font plaisir à voir. Il y a dans ce texte une certaine forme de jubilation, non dans sa narration même mais dans tout ce qui sous-tend le texte : Alastair Reynolds s’est vraisemblablement amusé à écrire « Éversion » et à agréger tout ce qu’il aborde, et ça se ressent.

« Éversion » est donc plus que chaudement recommandé, c’est un roman malin, d’une humanité certaine, qui se joue du lecteur comme de ses personnages, tout en faux-semblant et à la progression narrative exemplaire. De fait, il n’y a à peu près rien à lui reprocher. On savait déjà qu’Alastair Reynolds jouait dans la cour des grands, « Éversion », sous la très belle couverture signée Amir Zand, ne fait que le confirmer une fois de plus, s’il le fallait encore, et de manière éclatante. Magistral ! Et on attend donc la suite de son oeuvre avec impatience, par exemple le très désiré « House of suns », toujours chez le Bélial’ (et pourquoi pas un jour la réédition et la suite de son fameux « Cycle des Inhibiteurs »…).

 

Lire aussi (à vos risques et périls…) l’avis de Gromovar, Feyd-Rautha, Le chien critique, Vert, Yossarian, Shaya, Feygirl, Célindanaé, Navigatrice de l’infini, Laird Fumble, Stéphanie Chaptal, Yuyine, Boudicca, Nicolas Winter, François Schnebelen, Tachan

 

  
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