赤壁 / Red Cliff / Les Trois Royaumes, de John Woo

Posted on 7 juin 2023

Cela fait très, très, TRÈS longtemps que je repousse le visionnage de ce fameux film de John Woo. Sans doute un peu effrayé par sa durée puisqu’il était pour moi inconcevable de me contenter de la version internationale charcutée pour tenir en 2h28. Donc il me fallait trouver un créneau tranquille (ou plutôt deux suffisamment rapprochés…) pour voir dans les meilleures conditions ce long métrage en deux parties qui atteint la colossale durée de 4h48 ! Pas toujours évident quand on a une vie de famille/sociale mais également, en toute franchise, tout un tas de choses auxquelles on donne la priorité. Et donc ça traîne, ça traîne… Il m’aura donc fallu un arrêt maladie pour en profiter sereinement.

 

   

   

 

Et me voilà donc, essoufflé, abasourdi, impressionné par ce que je viens de voir. Comment pourrait-il en être autrement à l’issue d’un tel film, aussi épique qu’il est intime, long bien sûr mais jamais ennuyeux, passionnant,  guerrier, etc… Les superlatifs manquent pour qualifier cet objet filmique hors norme. Adaptation d’un roman lui-même reprenant une période historique de la Chine, le film injustement (ou paresseusement…) intitulé en France « Les Trois Royaumes » détaille ce qui mènera à la célèbre bataille de la Falaise Rouge (ainsi que la bataille elle-même bien sûr), bataille qui se déroule une dizaine d’années avant la véritable période dite des « Trois Royaumes ». On sent que les auteurs du titre français se sont dits que ce n’est pas bien grave, les Français n’y connaissent rien en histoire chinoise et se fichent un peu de l’exactitude historique, contrairement aux titres chinois et anglais qui, eux, indiquent clairement ce qu’il donne à voir… Bref…

 

   

   

 

Et donc, en prenant son temps puisqu’il y a de nombreux personnages à présenter aux spectateurs, John Woo détaille les tenants et les aboutissants de la Chine du IIIe siècle. Cao Cao tout d’abord, général aux ordres de (ou plutôt qui à l’ascendant sur…) l’Empereur Xian au nord de la Chine, puis Liu Bei, empereur de la Chine du sud (je simplifie…), déjà aux prises avec les forces de Cao Cao, et enfin Sun Quan, empereur de l’est pour le moment à l’écart des combats mais qui risque d’être envahi si les forces de Liu Bei sombrent devant le nombre bien supérieur de celles de Cao Cao. Il faut un moment pour tout mettre dans l’ordre, mais une fois ceci fait, aidé par la narration limpide de John Woo, les choses se déroulent avec une grande fluidité. Devant l’avancée de Cao Cao, qui semble inexorable, Liu Bei, malgré les exploits héroïques de ses généraux Zhao Yun, Guan Yu et Zhang Fei, décide de missionner son conseiller Zughe Liang (incarné par un excellent Takeshi Kaneshiro) auprès de Sun Quan pour tenter de nouer une alliance qui pourrait garantir une sorte d’équilibre politique, sur trois territoires. Avant de prendre une décision, Sun Quan prend conseil auprès du général de son armée, Zhou Yu (impérial et charismatique Tony Leung). La bataille qui s’annonce, inéluctable, se concentrera sur le fleuve Yangtze, près de la fameuse Falaise Rouge…

 

   

   

 

Alors évidemment, sur 4h48 de film, John Woo prend bien le temps de caractériser ses personnages principaux. Zughe Liang, lettré, cultivé, expert dans l’art de la guerre, qui sait lire les signes de la nature, mais absolument pas combattant, et Zhou Yu, général de guerre, intelligent, cultivé lui aussi, marié, musicien. La rencontre des deux va mener à une amitié solide tout autant que de circonstance, les deux hommes sachant très bien que le vent peut tourner et l’avenir les voir devenir des ennemis. Mais aussi, à un degré moindre, Cao Cao, qui n’est pas mené que par sa soif de pouvoir, ou bien les empereurs Liu Bei, déjà âgé et qui a la sauvegarde de son peuple constamment à l’esprit, et Sun Quan, encore jeune mais qui souffre de l’aura de ses prédécesseurs, lui qui n’a encore rien « réalisé ». Ces scènes d’introduction, d’exposition, de développement, d’interaction, dont bénéficient grandement les personnages qui ne sont pas de simples noms sans caractère, sont entrecoupées de scènes de batailles, absolument époustouflantes.

 

   

   

 

Épiques, héroïques, dantesques, impressionnantes par le nombre de guerriers qu’elles mettent en scène (sans doute à la hauteur de celles du « Seigneur des Anneaux », dans un genre différent) tout autant que par les combats d’arts martiaux qu’elles proposent (on est dans un wu xia pian quand même), ce sont des morceaux de bravoure cinématographique à nulle autre pareille. Mieux, elles nous dévoilent quelques stratégies militaires imaginées par ces généraux qui tentent de prendre le dessus sur leur adversaire, pas seulement par la force brute. Ce n’est pas un hasard si Sun Tzu est cité. Ainsi, on profite du terrain, des conditions météorologiques ou des caractéristiques des troupes adverses pour remporter la victoire. On se souviendra longtemps de la tactique des miroirs ou de la bataille des huit trigrammes, d’une inventivité folle tout autant qu’une démonstration de réalisation cinématographique. Et puis un peu de roublardise n’a jamais fait de mal non plus, notamment quand il s’agit de récupérer des munitions à moindre frais (une anecdote tellement célèbre en Chine qu’elle est devenue une expression du langage courant, exprimant l’idée d’utiliser la force de l’ennemi pour l’affronter), ou bien, de manière beaucoup plus macabre, d’empoisonner l’ennemi en lui envoyant ses propres morts d’épidémie contagieuse…

 

   

   

 

Et puis bien sûr, LA bataille. Démentielle, infernale, pyrotechnique, une bonne demi-heure assez dingue, pleine de feu, de bruit et de fureur. Le climax du film, sur plusieurs plans. Sur le plan martial bien sûr, même s’il ne clôt absolument pas la rivalité entre les trois camps. Sur le plan des personnages aussi, puisque si les femmes sont peu présentes dans le film, ce sont bien elles qui font basculer la bataille. Grâce à la soeur de Sun Quan d’une part, Sun Shangxiang, femme indépendante qui refuse le mariage arrangé (un mariage qu’elle acceptera malgré tout plus tard, dans notre réalité historique, l’occasion de dire que le film est malgré tout très romancé par rapport à la réalité des faits) et donnera d’inestimables renseignements sur les forces de Cao Cao (tout en perdant beaucoup au passage…), et à Xiao Qiao d’autre part qui, en élaborant une cérémonie du thé (et ça me fait bien plaisir de voir ça dans un film) au péril de sa vie (l’enjeu de l’ultime duel du film), parviendra à décaler le lancement des hostilités et ainsi transformer l’issue de la bataille. Sans ces deux femmes, la conclusion aurait sans doute été bien différente.

 

   

   

 

J’ai déjà brièvement parlé des acteurs, les impériaux Tony Leung et Takeshi Kaneshiro, mais ils sont excellemment accompagnés par Zhang Fengyi en général Cao Cao, qui inspire autant la confiance quand il sourit que la peur quand il est d’humeur plus sombre et qui donne du relief à un personnage qui aurait pu trop facilement tomber dans la caricature du méchant crès crès méchant (mais il est quand même super méchant hein ! 😀 ), par Hu Jun (Zhao Yun),  Batdorj-in Baasanjab (Guan Yu) et Zang Jinsheng (Zhang Fei) incarnant les trois généraux héroïques de Liu Bei, ou bien Zhao Wei (Sun Shangxiang) et Lin Chi-ling (Xiao Qiao), entre force et finesse, indépendance et don de soi. On notera de plus qu’il n’y a pas ici de surjeu comme on peut parfois en voir dans les films asiatiques. On reste dans la sobriété et c’est très bien ainsi, ça donne une bonne intensité au drame qui se joue.

Les décors sont somptueux, ce qui n’a rien de surprenant au vu du budget mis en jeu (80 millions de dollars). Un confort financier qui se voit à l’écran, dans les décors donc, les costumes, le nombre de figurants, les effets spéciaux (qui se voient parfois un peu, s’agissant des effets numériques, notamment sur les amples mouvements de troupes vus depuis les airs). La caméra de John Woo fait le reste, certains plans sont des oeuvres d’art, et même si le réalisateur ne se départit pas de quelques tics (les ralentis, les colombes…), il faut bien dire que le résultat reste parmi ce qu’il a fait de mieux dans sa carrière, avec des scènes de bataille toujours extrêmement lisibles grâce à une caméra vive qui use de successions de plans larges ou serrés, travellings nerveux ou ralentis classieux qui ne perdent jamais les spectateurs. Une leçon de réalisation.

 

   

   

 

Résultat époustouflant donc. Porté par une magnifique BO de Taro Iwashiro, « Les Trois Royaumes » ressemble bel et bien au sommet de la carrière de John Woo. Un sommet qui, dans le genre épique et wu xia pian, semble bien difficile à dépasser. Émotion, action, amour, amitié, rivalité, tout y est pour un spectacle à grande échelle, dans tous les sens du terme. Je n’ai pas eu l’occasion de voir la version internationale de 2h25, mais au vu de cette version « longue » qui, de fait, est la version souhaitée par John Woo, il n’y a aucune raison pour le faire. Cette version longue est époustouflante, prenante, une leçon de cinéma, même sur un « petit » écran à domicile. Un film de maître, à voir et à revoir. Bluffant !

 

   

   

 

  
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