Vers les étoiles, de Mary Robinette Kowal

Posted on 14 août 2023
Toujours dans l’optique de lire « Sur la Lune » de Mary Robinette Kowal, voici « Vers les étoiles », le premier roman du cycle « Lady Astronaute », auquel je faisais déjà allusion dans le recueil de nouvelles éponyme. Place donc à la vie d’Elma York, chamboulée, comme pour tant d’autres, par la chute sur Terre d’un astéroïde. Une vie chamboulée pour un destin hors du commun.

 

Quatrième de couverture :

Une femme. Une mission. Sauver le monde.

1952. Une météorite s’écrase au large de Washington, dévastant une grande partie de la côte Est des États-Unis et tuant la plupart des habitants dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Par chance, Elma York et son mari, Nathaniel, en congé dans les Poconos, échappent au cataclysme et parviennent à rejoindre une base militaire.

Elma, génie mathématique et pilote pendant la Seconde Guerre mondiale, et Nathaniel, ingénieur spatial, tentent de convaincre les militaires que la météorite n’a pu être dirigée par les Russes. Mais, ce faisant, ils découvrent que la catastrophe va dérégler le climat de manière irréversible et entraîner, à terme, l’extinction de l’humanité.

Seule issue : l’espace. Une coalition internationale lance un programme spatial de grande envergure… inaccessible aux femmes. Elma compte pourtant bien y prendre part et devenir la première Lady Astronaute.

Récit d’une conquête spatiale digne de « L’Étoffe des héros », « Vers les étoiles » a reçu les prix les plus prestigieux de la science-fiction : Prix Hugo, Prix Locus, Prix Nebula, Prix Sidewise.

 

Vers les étoiles, mais d’abord vers la Lune

Ce ne sera pas une surprise pour ceux qui ont lu le recueil « Lady Astronnaute », mais l’évènement qui lance la série de Mary Robinette Kowal, à savoir la chute d’une météorite sur Terre le 3 mars 1952, dans la baie de Chesapeake aux Etats-Unis, est décrit dans les premiers chapitres de « Vers les étoiles », du moins du point de vue d’Elma York, principal personnage du roman. La chute et ses conséquences, immédiates tout d’abord, avec la lumière puis l’onde de choc, la recherche d’informations, puis plus larges avec des effets politiques (Washington étant situé à proximité de Chesapeake, tout le gouvernement US a été tué, le Ministre de l’Agriculture étant le seul survivant et devenant, de fait, Président par intérim), démographiques et économiques importants, avant que les effets à plus long terme commencent à se dévoiler, alors que les scientifiques se penchent sur le sujet. En effet, la météorite étant tombée dans une zone immergée, énormément de vapeur d’eau a été projetée dans l’atmosphère ce qui va provoquer un effet de serre important amenant notre planète à devenir incompatible avec les besoins de l’espèce humaine, à une échéance de quelques dizaines d’années seulement.

Dès lors, c’est une course contre la montre qui se lance, une course à l’espace, dès les années 50, non plus menée par une guerre froide avec un ennemi soviétique balayé par la rude période hivernale qui précède le réchauffement accéléré, mais par la nécessité de sauver l’humanité dans son ensemble. Une course à l’espace internationale, menée par l’IAC (International Aerospace Coalition), qui fait donc fortement diverger l’histoire du roman de notre histoire (même si elle avait déjà divergé avant, avec la victoire de Dewey sur Truman en 1948, ce qui permet à Mary Robinette Kowal d’avoir des Etats-Unis mettant dès la fin des années 40 l’accent sur le programme spatial, plus que dans notre réalité). Quoique fortement, pas tant que ça, puisque la base reste bien la société des années 50, avec sa technologie d’alors (pas de calculateurs mécaniques, encore moins d’ordinateurs, les calculs balistiques et de trajectoires étant essentiellement réalisées par des femmes, les machines étant programmées par des cartes perforées), mais aussi ses défaillances sociétales (le rôle des femmes, la ségrégation raciale). Mais malgré cela, le roman va tenter d’emmener l’humanité vers la première étape de sa sauvegarde : l’espace d’abord, puis la Lune.

Et tout cela ne se fera pas sans mal, on ne change pas une société du jour au lendemain, fût-elle sous la menace d’une disparition pure et simple, malgré ce que tentent de dire certains négationnistes (tiens donc, on se croirait à notre époque… ). Et c’est là qu’Elma York va prendre toute son importance. Femme très douée dans le domaine des mathématiques, aviatrice hors pair (elle a fait la guerre au sein des WASP), elle n’est « que » calculatrice au sein de la NACA (National Advisory Committee for Aeronautics, agence qui a précédé la NASA dans notre monde mais qui, dans le roman, s’est vue absorbée par l’IAC), là où un homme avec le même parcours aurait immédiatement été promu ingénieur. Au hasard, son mari par exemple. Nathaniel York est en effet l’éminent ingénieur en chef du programme spatial. Mais il ne s’agit pas ici d’opposer Elma et Nathaniel, qui forment un couple uni et solide, pas plus qu’il ne s’agit d’opposer hommes et femmes. Simplement de prendre conscience, sur fond de course spatiale, des différences de traitements en fonction du genre, qu’elles soient systémiques et bien « habituelles » et sans gravité mais pourtant présentes et pesantes, si ce n’est plus. Pour Elma comme pour d’autres puisqu’elle n’est pas la plus mal lotie : après tout elle est blanche.

Et tout cela va donc évoluer, plus vite que dans notre réalité, sur tous les plans. L’espace va s’ouvrir aux femmes (même si les prétextes semblent quelque peu fallacieux au début : pour qu’une colonie spatiale fonctionne, il faut bien faire des enfants !), avec des responsabilités qu’on leur a trop longtemps refusées alors qu’elles s’avèrent tout aussi capables (voir plus sur certains points) que les hommes. Qui se souvient des Mercury 13, ce programme des années 60 visant à sélectionner des femmes pour l’espace (à l’instar des Mercury 7 pour les hommes), avant qu’il ne soit purement et simplement abandonné ? Ici, sous une forme différente (et c’est là tout le talent de Kowal de prendre des évènements réels pour les transformer et les retranscrire différemment), le programme aura la possibilité d’aller au bout des choses, bien plus vite que dans notre réalité.

La société se transforme donc, et les hommes et les femmes qui la composent évoluent aussi (mais pas complètement, il y a une certaine « inertie » venant de personnes réfractaires aux femmes dans l’espace, à l’image de Stetson Parker, lui aussi astronaute et vieille connaissance d’Elma York depuis la guerre, tout autant que de corporations véhiculant plus ou moins inconsciemment les stéréotypes sur les femmes, la scène de la conférence de presse avec les femmes astronautes est à ce sujet effarante). Car Elma, profitant d’un rôle de porte-étendard qui finira par convenir à l’IAC en termes de communication (mais qu’elle aura du mal à endosser, elle qui souffre d’anxiété maladive, un syndrome qui, s’il était connu d’autres personnes, risquerait de la voir exclue du programme spatial), un élément d’importance pour un programme spatial qui a besoin de figures exemplaires pour rester populaire, n’est pas non plus la femme parfaite sur tous les plans. Elle est un produit de son époque, qui en voie certains défauts mais sans éviter des biais qui relève de sa condition de femme blanche. Ainsi, il faudra lui ouvrir les yeux sur les discriminations subies par d’autres minorités que la sienne… Mais elle aura toujours cette volonté indéfectible de changer les choses, pour toutes et tous, sans arrière-pensées.

« Vers les étoiles » est donc une très belle uchronie qui transforme la société sur fond de développement plus rapide du programme spatial tel que nous l’avons connu. Autant roman de pure SF que roman social sur les évolutions de la société des années 50, il s’équilibre entre récit technique (un peu mais pas trop, après tout le programme spatial uchronique et ultra-technico-hard-SF a déjà été écrit, il s’appelle « Voyage » et il est signé Stephen Baxter), récit intime (car la société de l’époque ne cessait de repousser les femmes dans la sphère domestique : le foyer, il fallait se battre pour en sortir et ça n’avait rien de simple), récit plus vaste (le programme spatial dans son ensemble). Le résultat, très documenté (on ne manquera pas de lire la riche note historique qui suit le roman) et qui affiche clairement ses ambitions sociales et sociétales tout en mettant l’accent au plus près de ses personnages, est un vrai plaisir de lecture. Ad astra !

 

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Chronique réalisée dans le cadre du challenge « Summer Star Wars – Andor » de Lhisbei.

 

  
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