Ellipses, de Audrey Pleynet

Posted on 28 juillet 2020
Remarquée dans la blogosphère depuis quelques mois et par plusieurs éditeurs qui ont fait paraître un certain nombre de ses récits dans différentes anthologies, Audrey Pleynet a rassemblé quelques nouvelles qui n’ont pas trouvé preneur lors d’appels à textes (et dont elle possède donc les droits) pour les réunir au sein de ce recueil autoédité.

 

Quatrième de couverture :

Une reine qui découvre le secret de sa planète et l’origine de son pouvoir, d’inestimables leçons de survie dans un monde post-apocalyptique, une puce qui permet de vendre sa douleur, un programme du gouvernement tirant partie de notre addiction aux réseaux sociaux… Parcourez les ellipses de huit nouvelles de science-fiction qui explorent l’avenir de l’humanité, autant dans sa capacité de création que dans les sombres dérives qui la guettent… Au sommaire: – Les reines de Cyanira – Tu t’en souviendras ? – Les questions que l’on pose – Dolores – Icône – Alchimistes du rêve – Tu étais pourtant si fier de moi – Citoyen+.

Professionnelle de l’humanitaire et du social, Audrey Pleynet a publié son premier roman de science-fiction « Noosphère » en 2017. Lauréate de nombreux concours de nouvelles, elle signe avec « Ellipses » son premier recueil personnel.

 

Une future grande ?

Huit textes sont au sommaire de ce court recueil de 150 pages, disponible en numérique à petit prix ou en papier (vraisemblablement en impression à la demande). Des textes qui n’ont pas eu les honneurs d’être sélectionnés lors des appels à textes auxquels Audrey Pleynet les a soumis, ce qui ne les empêche nullement d’être de qualité même si on pourra leur trouver quelques défauts ici ou là. Revue de détail.

 

  • Les reines de Cyanira

La reine nouvellement couronnée de la planète Cyanira, Shyrel, est chargée de faire face aux ambitions des gouvernants des planètes voisines alors qu’elle ne possède pas le puissant don télépathique de ses ancêtres qui leur permettait de faire valoir leurs droits sans trop de problèmes.

Un texte peut-être un peu trop optimiste sur la nature humaine (mais c’est sans doute moi qui suis un peu trop cynique…), à ceci près que le peuple qui est doté de « super pouvoirs » (et qui permet à Shyrel et ses ancêtres de bénéficier du fameux don) n’est plus vraiment humain donc pourquoi pas… Pour le reste, si on arrive à suspendre son incrédulité (ou à être de nature idéaliste), on a là un sympathique texte de « empowerment » avec l’aide d’un peuple utopiste et altruiste. Et quelque part, c’est beau.

 

  • Tu t’en souviendras ?

Dans un futur qui a sombré, une femme se retrouve à prendre sous son aile une petite fille non préparée à faire face à ce monde ravagé et donc condamnée à plus ou moins brève échéance. Mais s’ouvrir et avoir des sentiments, c’est se mettre en danger…

Récit post-apocalyptique sur la transmission, la filiation, la protection, dans un monde où avoir des sentiments est une faiblesse et augmente le risque d’une fin tragique, ce récit à chute, sans concession, est réussi alors qu’on est presque en terme d’optimisme dans l’exact opposé du texte précédent.

 

  • Les questions que l’on pose

Réflexion sur les big datas et l’usage qu’il est possible d’en faire, du plus simple et innocent (quoique, déjà, se pose la question des données personnelles non anonymes) au plus intrusif et expéditif dès lors que des personnes mal intentionnés et/ou radicales, notamment sur le plan politique, s’en mêlent.

La progression est bien menée, et la conclusion va à l’encontre de ce que nombre de récits de SF n’auraient pas hésité à explorer, pour un résultat plus terrible encore, accentué par le ton détaché du narrateur qui n’est autre que l’intelligence artificielle chargée de compiler toutes ces big datas. Excellent et glaçant, ce texte sonne comme un vrai avertissement.

 

  • Dolores

Un texte sur une biotechnologie révolutionnaire, que n’aurait pas renié Nancy Kress (et qui fait également penser très fort à ce qu’avait écrit Charles Yu dans sa nouvelle « Pack de solitude standard » écrite en 2010) : une femme scientifique, avec une amie informaticienne, a trouvé le moyen de « dériver » le signal de la douleur émis par le cerveau pour l’envoyer vers des personnes saines et volontaires.

On pourra dès le départ trouver regrettable qu’Audrey Pleynet ait cédé à la facilité d’une évolution technologique et scientifique de cette envergure uniquement réalisée semble-t-il par deux personnes (on sait très bien que quelque chose de ce genre, touchant à la gestion de la douleur et au cerveau peut difficilement se passer d’une coopération scientifique très large et internationale) et que ce qu’elle implique éthiquement parlant ne semble pas être un obstacle à sa commercialisation (là encore, éthiquement et politiquement, je ne suis pas sûr que les choses puissent se faire aussi simplement que l’accord de quelques investisseurs, un petit coup de pression politique et hop, l’affaire est dans le sac…), mais pour le reste le texte est thématiquement très riche dans son exploration des conséquences d’une telle invention.

Il y a du Ken Liu dans la manière qu’a l’autrice d’explorer les aspects sociaux, éthiques, politiques, en si peu de pages mais en posant les bonnes questions, le tout écrit avec une fluidité exemplaire. Par ailleurs, le côté humain via « l’inventrice » de cette puce Dolores n’est pas en reste et ses motivations, en plus d’être le moteur de son projet, sont tout à fait justes, crédibles et touchantes.

Des défauts donc (des facilités narratives surtout) mais le récit est malgré tout très intelligent et fonctionne bien.

 

  • Icône

Arsène est un photographe qui se trouve laid. Du moins n’est-il pas dans ce que la société appelle la norme. Mais il a une petite amie, Rosaline, qu’il retrouve un jour transformée, avec l’aide d’un peu de chirurgie esthétique, pour ressembler un peu plus à la starlette du moment.

Texte sur la dictature de la norme, de la beauté standardisée des magazine people, de l’uniformisation du physique des personnes nourries au papier glacé, de la superficialité du paraître au détriment de l’être et d’une certaine manière sur les girouettes médiatiques et la relativité de la beauté (qui est dans l’oeil de celui qui regarde, pas dans les magazines), « Icône » est thématiquement très parlant mais manque singulièrement de punch. Le message est clair, mais la façon de le faire passer ne m’a pas vraiment embarqué.

 

  • Alchimistes du rêve

Grâce à la possibilité de manipuler la réalité à travers les rêves, les duos de Veilleurs/Rêveurs sont chargés de construire les bâtiments nécessaires aux habitants de la cité de Urumqi, seule au milieu d’un immense océan. Raina et Kaiden forment un de ces duos. Mais peut-être sont-ils un peu plus que cela, avec tous les risques que cela implique…

Un peu comme pour « Les reines de Cyanira », ma suspension d’incrédulité en a pris un coup dans ce texte à la fois SF et « magique » (même si ce terme n’est pas le bon puisque les capacités des Veilleurs et des Rêveurs sont justifiés, même si c’est très succinct). Ceci dit, l’histoire est belle et le récit est très visuel avec des constructions qui se font en se défont « en suspension », à l’image de ce que les rêves permettent dans le film « Inception ». Comme pour les autres textes du recueil, la narration est simple, sans fioriture, mais d’une belle limpidité. Ce texte se lit donc avec plaisir, même s’il est loin d’être le plus marquant du recueil, la faute sans doute à des thématiques en retrait par rapport à d’autres récits ici présents. Mais pour ceux qui aiment simplement les belles histoires, ça peut faire tilt.

 

  • Tu étais pourtant si fier de moi

D’une manière un peu similaire à la nouvelle « Les questions que l’on pose », ce texte se dévoile sous la forme d’un monologue entre une fille et son père.

La thématique de « Frankenstein » n’est pas loin, et la progression du récit se fait de la même façon que le texte sus-cité, avec un résultat à la fois similaire et très différent puisque cette fois, si la créature échappe à son créateur (ce qu’elle faisait aussi d’une certaine manière dans « Les questions que l’on pose »), elle finit en revanche par passer d’elle-même à l’action, pour un résultat marquant. Simple mais efficace, je lui préfère toutefois l’autre texte de l’autrice, plus proche de nous, plus réaliste, plus inquiétant.

 

  • Citoyen+

Audrey Pleynet aurait pu s’appeler Jean Baret ! 😀 En effet, à la lecture de « Citoyen+ », difficile de ne pas penser à la fois à “Bonheur™” pour la société poussant à la consommation continue et à “Vie™” pour l’omniprésence des réseaux sociaux et des algorithmes régissant la vie de ceux qui acceptent de devenir des « citoyens+ ». Certes, le propos n’est ni aussi outrancier que celui de Jean Baret, ni aussi drôle, pour un résultat donc en deça de celui de l’avocat culturiste, mais comparer un nouvelle de 15 pages et deux romans de 300, ça n’est pas non plus très honnête.

Rendons donc à Audrey Pleynet les honneurs d’avoir écrit ici une nouvelle finalement assez « synthétique » sur le sujet de la société de consomation et ses dérives numériques, avec ces « citoyens+ » qui pensent être libres de mener la vie qu’ils souhaitent (et qu’ils croient aimer), surtout quand elle semble être particulièrement contestataire. La réalité, et la chute du texte, est à ce titre particulièrement déprimante. Encore un texte qui, sans être follement original, est bien écrit, avec une narration simple mais prenante, et qui touche au but.

 

Pas mal de belles choses donc dans ce recueil, malgré quelques achoppements que l’on qualifiera de défauts (qui sont d’ailleurs relativement mineurs) de jeunesse. Audrey Pleynet a un vrai talent pour produire des textes simples et clairs, qui n’en font pas des caisses mais qui sont toujours limpides sur le plan de la narration, présentant efficacement leur contexte (varié qui plus est) avant d’aller étudier de plus près des thématiques très actuelles (et très SF) et/ou universelles.

Après un tel recueil (autoédité) et quelques nouvelles disséminées dans différentes anthologies, on attend maintenant qu’un éditeur s’intéresse à l’autrice en mettant son nom en gros en haut de la couverture d’un livre disponible en librairie. Parce qu’à l’évidence il y a du potentiel. Et aussi parce qu’elle vit dans une ville où j’ai passé nombre d’étés dans la maison de mes grands parents. Mais ça c’est plus personnel… 😀

 

Lire aussi les avis de Xapur, Yogo, Feyd Rautha, Brize.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Summer Star Wars épisode IX » de Lhisbei (pour la nouvelle « Les reines de Cyanira »).

 

  
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