Pyramides, de Romain Benassaya

Posted on 5 mai 2021
Le quatrième roman, « La dernière arche », de Romain Benassaya, dont j’avais bien apprécié son premier, « Arca », arrive très bientôt. Situé dans le même univers que « Pyramides » tout en étant lisible indépendamment, je souhaitais malgré tout avoir en tête toutes les éventuelles références que l’auteur a pu y parsemer. Lecture express donc (en deux jours !) de ce joli pavé de 600 pages.

 

Quatrième de couverture :

2182, des colons fuient la Terre devenue stérile dans une vingtaine d’immenses vaisseaux pour un voyage de deux cents ans. Toutes prennent la direction de Sinisyys, une autre planète bleue, dans le système 82 Eridani. Une seconde chance pour l’humanité. Mais à leur réveil d’un long sommeil en biostase, les occupants du Stern III ne se trouvent pas sur le nouvel Éden tant souhaité. Ici, point de voûte étoilée, et l’IA du vaisseau en panne ne peut leur donner aucune indication.

Les seuls indices que les passagers ont sont l’extraordinaire évolution de la forêt qui sert de poumon au vaisseau, et des Jardiniers – des pucerons génétiquement modifiés devenus scarabées. Combien de temps ont-ils bien pu passer en stase pour qu’une telle chose soit possible ? Et quel est cet environnement froid et noir, ressemblant à un tunnel aux proportions dantesques ?

 

Scarabées et labyrinthe

Le Stern III (tiens tiens, serait-ce une forme d’hommage ou de clin d’oeil au Henri Stern du roman « Arca » ?) a pour mission, après un voyage de 200 ans, de coloniser la planète Sinisyys, habitable et située dans le système 82 Eridani. Avec 1600 passagers à bord, il est doit rejoindre les deux premiers Stern déjà envoyés là-bas. Problème : il semblerait que le voyage ne se soit pas passé comme prévu puisque les passagers se réveillent… ailleurs. Un ailleurs qui n’offre pas de ciel étoilé, ni de planète hospitalière. Mais alors, où le vaisseau s’est-il posé ? Comment, alors qu’il n’est pas censé effectuer une telle manoeuvre ? Et maintenant, que faire dans cet endroit inconnu ? Explorer et garder l’espoir de redécoller ou bien s’installer ici-même et tenter de s’offrir une vie correcte malgré tout ? Comment concilier les aspirations des uns et des autres ?

« Pyramides » offre 600 pages bien tassées d’une aventure haletante, à mi-chemin entre énigme astrophysique, exploration d’un « big dumb object », et étude comportementale et sociétale d’un petit groupe d’humains isolés en un lieu inconnu. Sur un rythme élevé, à base de chapitres courts (un peu trop peut-être, 122 chapitres !) utilisant régulièrement la technique du cliffhanger pour ne pas lâcher le lecteur, « Pyramides » se dévore à toute vitesse.

Faisant penser à de nombreuses récits de SF sans pour autant les dépasser qualitativement, le roman de Romain Benassaya fait oeuvre de synthèse pour offrir au lecteur un excellent moment de SF de divertissement. Ainsi, quand on voit la mission du Stern III et les évènements qui secouent la communauté de ses habitants, comment ne pas penser au somptueux « Aurora » de Kim Stanley Robinson ? Mais Romain Benassaya ne tente pas de tenir la même rigueur scientifico-réaliste que l’auteur américain. Ainsi, le vaisseau Stern III est rapidement décrit là où Robinson nous décrivait tout l’écosystème technique et écologique de son vaisseau. Est-ce un problème ? Pas vraiment, le coeur du roman n’est pas là.

Quant à cet environnement mystérieux au sein duquel se trouve le vaisseau, et la nécessaire exploration qui en découle pour les passagers puissent comprendre et se situer, comment ne pas penser à « Rendez-vous avec Rama » de Arthur C. Clarke et ce mystérieux objet traversant le système solaire ? Avec dans « Pyramides » un vertige SF un peu moins présent, dû à un mystère qui reste… bien mystérieux, ne donnant pas au lecteur assez d’éléments étranges pour faire monter ce fameux sense of wonder à des hauteurs stratosphériques.

Pourtant, Romain Benassaya ne manque pas d’utiliser certains effets classiques de la science-fiction, comme des vitesses et des distances (et donc des durées…) hors du commun pour donner à son texte des échelles démesurées. De ce point de vue, même si en marchant dans les traces de ses illustres prédécesseurs l’auteur ne fait pas vraiment preuve d’une grande originalité, c’est plutôt réussi. On nage en plein space-opera de grande ampleur, mêlant mystère science-fictionnel et étude sociale.

Car si l’exploration de cet environnement étrange est bien sûr un élément important du récit, son coeur penche plutôt du côté des voyageurs et de la manière dont ils s’adaptent à cette situation inattendue, qui n’est rien de moins qu’une vraie situation de crise. Etablissement d’un camp, prises de décisions, forme de gouvernement, volonté d’explorer ou bien de s’installer, les crises que traversent les voyageurs ne manquent pas. C’est peut-être là que Romain Benassaya est le moins convainquant. Car si passer outre des explications techniques trop détaillées risquant de perdre un certain nombre de lecteurs peut se comprendre, les réactions des membres de l’équipage sont en revanche à la portée de n’importe qui. Sauf que là, elles sont parfois incompréhensibles. Autant dans « Aurora », Kim Stanley Robinson rendait tout cela parfaitement logique d’où le sentiment d’un terrible fatalisme, ici la logique semble être aux abonnés absents. Comment croire à ce jusqu’au-boutisme meurtrier à mesure que les désaccords se font plus profonds ? Conflits, crises, oui, mais jusqu’à ce point, aussi radicalement, aussi manichéen ? On dirait que l’un des personnages devient mauvais juste pour l’effet dramatique,  mais sans aucune nuance et sans que cela ne soit guère plausible. Dommage.

Ceci dit, même si ça m’a pour le moins interloqué, ça ne m’a pas empêché de lire l’ensemble du roman avec grand plaisir. 600 pages en deux jours, ce n’est pas rien ! 😀 Alors oui, malgré des défauts qui pourront plus ou moins gêner en fonction des attentes de chacun (on pourrait aussi parler d’un certain nombre de coïncidences heureuses dont l’auteur se joue sous forme de pirouette non résolue…),  le roman se fait ultra-rythmé et on se trouve embarqué dans une aventure humaine et spatiale de grande ampleur. Jusqu’à une fin qui, elle aussi, pourra en laisser plus d’un dubitatifs, faisant naître autant, si ce n’est plus, de questions que de réponses, même si j’ai bien aimé l’effet qu’elle m’a procuré. Mais pour celui qui s’attendrait à ce que tout le mystère soit levé, gare ! 😉

Bon, pas la peine d’en dire plus, j’ai kiffé, même si les défauts me sont aussi clairement apparus. Mais que voulez-vous, le souffle de l’aventure spatiale, agrégeant un grand nombre de références à peu près toutes de l’ordre du chef d’oeuvre (on pourrait aussi parler de « Destination ténèbres » de Frank M. Robinson, de « Dans la toile du temps » de Adrian Tchaikovsky avec des scarabées intelligents, voire même de… Non ! Ce serait déjà trop en dire… 😉 ) m’a emporté comme rarement. Pas parfait donc, mais malgré tout hautement addictif !

 

Lire aussi l’avis de Lune, Xapur, Le chien critique, Yogo, Boudicca, Dionysos, Lianne, Célindanaé, Charmant petit monstre, Sometimes a book… 

 

  
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