Inner City, de Jean-Marc Ligny

Posted on 3 janvier 2022
Le cyberpunk n’est pas l’apanage des auteurs anglo-saxons. Les francophones n’ont pas manqué d’y mettre le nez, d’une manière ou d’une autre, que cela soit récent (voir les romans « BonheurTM » et « VieTM » de Jean Baret, ou bien « Ch3val de Troi3 » de Eric Nieudan) ou plus ancien comme ici avec « Inner City » de Jean-Marc Ligny, roman paru en 1996 et réédité en 2016 dans la collection de poche Hélios. Une réédition dont a profité l’auteur pour y faire quelques modifications tenant compte de l’avancée des technologies. Un upgrade bénéfique ?

 

Quatrième de couverture :

En quelques années, Paris est devenue une ville fantôme. Ses derniers habitants sont plongés en permanence dans les réalités virtuelles, bien protégés par une enceinte qui garde à l’extérieur, en banlieue, les pauvres et les miséreux. Mais leur vie dorée est menacée par un tueur agissant dans la Haute Réalité tandis que de l’autre côté du périf, la révolte gronde. Dans ce climat explosif, Hang traque les scoops les plus sanglants pour mieux les injecter (et les vendre) dans ces mondes virtuels pendant que Kriss enquête pour neutraliser ce serial killer…

Roman cyberpunk clef dans la science fiction française et dans la bibliographie de Jean-Marc Ligny (« AquaTM », « La Saga d’Oap Täo »…), « Inner City » est une nouvelle preuve de l’engagement de son auteur. Il a été couronné à sa sortie par le Grand Prix de l’Imaginaire.

 

French cyberpunk

Après tout, si les Etats-unis sont un terreau fertile pour le cyberpunk (autant en terme d’auteurs, puisque ceux d’entre eux à l’origine du genre cyberpunk sont pour la plupart américains, qu’en terme de « setting » (avec des exceptions, comme « Gravité à la manque » de George Alec Effinger par exemple), mais sans doute que ceci explique cela), il n’y pas de raison pour que le cyberpunk n’irrigue pas d’autres nations. La France par exemple, avec ici Jean-Marc Ligny qui y situe son roman « Inner City ».

On a donc deux personnages vivant à Paris, Hang, un petit reporter indépendant toujours à la recherche d’images chocs pour réveiller les consciences (ou du moins tenter de le faire…) de ceux qui sont trop « protégés » pour se rendre compte de ce qui se passe à l’extérieur, et Kriss, agente chargée par son patron de retrouver les inners (utilisateurs de la Haute Réalité, un gigantesque réseau de réalité virtuelle nommé Maya, en opposition à la Basse Réalité, la vraie, la physique, la tangible) perdus dans la Réalité Profonde, une sorte d’abîme virtuel duquel il est très difficile de revenir sans aide extérieure.

Le Paris mis en scène par Jean-Marc Ligny est en partie déserté, ses rues n’étant arpentées que par des robots de nettoyage ou autres réparateurs artificiels. Mais où sont donc tous les Parisiens ? Chez eux, connectés à la une Haute Réalité qui permet tout, et qui a délesté tout un chacun de l’obligation de sortir de chez eux. Une servitude volontaire à un réseau devenu pour ses utilisateurs la nouvelle réalité. Mais Paris est une enclave, protégé de la banlieue grouillante, elle, peuplée de pauvres qui vivent de rien par une enceinte infranchissable et extrêmement bien protégée. Par ailleurs, pour sortir de cette urbanité omniprésente dans le cyberpunk, Jean-Marc Ligny nous emmène aussi dans un petit village breton où habitent Alice la grand-mère de Kriss, et Betsy, son amie très portée sur la bouteille et autres substances psychotropes, pour quelques séquences champêtres souvent très drôles (merci Betsy) mais qui ont une utilité dans l’intrigue du roman.

Mais justement, l’intrigue ? Elle se situe au départ dans la Haute Réalité (ou la Réalité Profonde) avec ce qui ressemble à un tueur d’inners perdus, dont la présence se justifie par une sorte d’écho d’évènements historiques dramatiques. La suspension d’incrédulité du lecteur est un peu mise à rude épreuve, mais l’histoire se suit malgré tout avec plaisir et le talent de Jean-Marc Ligny fait son office pour embarquer le lecteur dans une aventure rythmée, variée, parfois drôle, parfois pleine d’action, partagée entre Basse et Haute Réalité.

Certes, le dépaysement, du fait de sa situation en France, est moins efficace que dans les romans de Gibson et ses USA cyberpunkés, mais l’auteur français a quand même réussit son coup : faire du cyberpunk en France, sans rien renier de ce qui fait le genre : certes les modifications corporelles sont absentes mais ce que l’on peut qualifier de Matrice est bel et bien là, de même que tout l’aspect social. Partant d’une situation qui nous est familière, le curseur est, il est vrai, poussé à l’extrême sur ce dernier point, mais avec la percée du Métavers auprès de nombreux acteurs de l’économie, l’aspect high-tech du roman n’a rien d’invraisemblable (malgré, comme souvent dans le genre cyberpunk, une certaine désuétude dès qu’on regarde de près les objets technologiques mis en scène).

Réussite donc que ce « Inner city », un roman qui n’a certes rien d’exceptionnel mais que Jean-Marc Ligny parvient à rendre addictif, à la fois grâce à des personnages attachants et une intrigue qui ne manque pas d’intérêt, à la condition que le lecteur adhère à ce qu’elle dévoile d’éléments sous-jacents. Au-delà de ça, l’auteur parvient donc à nous donner un roman français tout ce qu’il y a de cyberpunk, qu’un auteur américain n’aurait pas renié. Une petite lecture plaisir.

 

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