Salem, de Stephen King

Posted on 3 mars 2025
Cité plusieurs fois dans les ouvrages sur les vampires, « Salem » de Stephen King m’a fait de l’œil. Et l’œuvre de King aussi, par extension. J’ai beaucoup lu l’auteur américain étant jeune (« Le fléau », « Bazaar », « Jessie », « Simetierre », « Les tommyknockers », « Minuit 2 », « Misery »…) avant de m’arrêter au milieu des années 90, sans guère y revenir depuis, sauf en de rares exceptions pour des textes courts (« Gwendy », « Élévation »). Il se pourrait que je m’y intéresse à nouveau prochainement de manière assidue…

 

Quatrième de couverture :

Le Maine, 1970. Ben Mears revient à Salem et s’installe à Marsten House, inhabitée depuis la mort tragique de ses propriétaires, vingt-cinq ans auparavant. Mais, très vite, il doit se rendre à l’évidence : il se passe des choses étranges dans cette petite bourgade. Un chien est immolé, un enfant disparaît, et l’horreur s’infiltre, se répand, aussi inéluctable que la nuit qui descend sur Salem.

En bonus : Deux nouvelles inédites sur le village de Salem. De nombreuses scènes coupées que Stephen King souhaitait faire découvrir à son public.

 

Il y a quelque chose de pourri à Salem

Ben Mears est un écrivain qui a eu un succès relatif et qui décide de revenir dans la petite ville de Jerusalem’s Lot (dans laquelle il a passé une partie de son enfance) pour écrire un nouveau roman autant que pour exorciser certains démons. Pour se faire il aurait aimé louer la vaste demeure qui domine la ville, le manoir Marsten, de pourtant sinistre réputation et lieu de son traumatisme d’enfance. Mais étonnamment, il se trouve qu’elle vient juste d’être réservée par de nouveaux habitants. Ce que Ben Mears trouvera à Jerusalem’s Lot dépassera largement ce qu’il était venu y chercher…

Second roman que Stephen King a publié au cours de sa carrière (après « Carrie »), en 1975, « Salem » était pour lui une manière de faire « son » « Dracula », dans les traces du roman de Bram Stoker, qu’il adore. De ce point de vue, c’est parfaitement réussi. De la même manière que l’auteur irlandais faisait voyager son vampire transylvanien en Angleterre de la fin du XIXe siècle (à l’époque de l’écriture du roman donc), King transpose le sien dans un petit village du fin fond du Maine, Jerusalem’s Lot (dont le diminutif est donc Salem), dans les années 70 et lui permet de laisser sa trace. Comme Dracula dont la présence infusait le roman tout en y étant peu présent directement, le vampire de King fait de même. Mais là où ce qu’il faut bien appeler une « épidémie vampirique » (un vampire pouvant en créer d’autres, eux-mêmes pouvant faire de même, pour un vrai effet de contagion exponentielle) restait modérée dans le roman de Stoker grâce notamment à la traque menée par Van Helsing obligeant le vampire à fuir, King lui ne fait pas dans le détail.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, King fait du King, c’est-à-dire qu’il présente de manière approfondie la petite communauté qui compose la ville de Jerusalem’s Lot. Les personnages sont ainsi très nombreux, très travaillés pour la plupart, avec un passé consistant et toujours plus ou moins quelque chose à cacher. Certains sont attachants, d’autres beaucoup moins… Des personnes lambdas en somme qui, sous la plume de King, forment une communauté fascinante de gens s’appréciant plus ou moins et qui se débattent avec les problèmes de la vie de tous les jours. Evidemment, tout cela va voler en éclat à mesure que le puis les vampires vont faire leur œuvre. Et les habitants vont devoir faire face, certains dignement, d’autres moins. Et de petite ville tout ce qu’il y a de plus normale dans sa morne banalité, Jerusalem’s Lot se transforme en ville fantôme à l’ambiance bien flippante.

Si structurellement le roman ne reprend pas le genre épistolaire du « Dracula » de Stoker (et pour cause : il l’avait déjà plus ou moins fait avec son premier roman « Carrie »), « Salem » propose pourtant quelque chose de travaillé sur ce point également, avec de grands chapitres (découpés en sous-chapitres) consacrés à un personnage principal en particulier, entrecoupés d’autres qui mettent la ville de Salem en avant, à travers de multiples personnages secondaires qui vaquent heure par heure ou presque à leurs occupations et qui donnent du corps à la ville en proposant une vraie toile de fond, à tel point qu’elle en devient elle-même un personnage à part entière. L’effet est particulièrement réussi et donne vraiment le sentiment au lecteur de parcourir la ville.

On retrouve les classiques thèmes « kingiens » (l’auteur du Maine posait déjà largement les bases de ses œuvres à venir) : la petite communauté isolée dans une petite ville du fin fond du Maine (il faut d’ailleurs très clairement avoir à l’esprit que le roman se situe dans les années 70, ce qu’il advient de la ville pouvant difficilement être imaginable aujourd’hui avec nos moyens de communication), des américains moyens projetés dans une situation extraordinaire, et quelques archétypes que l’on retrouvera régulièrement tout au long de l’œuvre de Stephen King comme le personnage de l’écrivain ou celui de l’enfant (ici sans doute un peu trop les pieds sur terre pour être parfaitement crédible), le tout à la sauce vampirique avec de multiples références au fameux récit de Stoker (et pas mal de victimes aussi, parce qu’il faut bien donner à manger aux créatures de la nuit…), un grand sens de l’horreur en plus (ici, si le côté gothique du récit de Stoker n’existe plus, c’est le côté horrifique qui prend nettement le dessus). Le tout est construit avec soin, diluant certes un peu l’intrigue mais cela se fait nettement au bénéfice des personnages et du contexte du récit, très détaillé et surtout jamais ennuyeux malgré la longueur du roman (même si « Salem » est loin d’être le plus long de Stephen King). L’auteur américain était déjà en 1975 un maître-conteur, « Salem » le prouve largement.

Bref, ce roman me remet clairement le pied à l’étrier des récits de King, et il est déjà très clair que vu la manière dont j’ai dévoré ce roman, je ne vais pas m’arrêter là. Je ne pensais pas m’intéresser aux vampires en passant par la case King (des vampires ici somme toute très classiques et c’est voulu comme tel par l’auteur d’ailleurs alors que la « révolution » Anne Rice n’arrivera que l’année qui suit la parution de « Salem », celui qui attend une certaine originalité sur ce point sera donc déçu), mais l’auteur américain étant quand même un redoutable écrivain, il parvient même à faire dévier ma trajectoire pour me retenir dans ses rets pour que je continue la lecture de ses autres textes. Quoique même avec King, comme on le verra un peu plus tard, les vampires, quelle que soit leur forme, ne sont jamais bien loin…

Un dernier mot sur les deux nouvelles et les scènes coupées proposées après le roman. Pour ce qui est des scènes coupées, la lecture est parfois un peu rébarbative mais l’intérêt revient dès que les vraies différences apparaissent : le destin de certains personnages s’en retrouve changé, certains scènes changent assez nettement. Pas indispensable mais ça reste un bonus sympathique. Les deux nouvelles sont plus intéressantes. La première, « Un dernier pour la route », propose de revenir à Salem quelques années après le roman. Le texte n’est pas plus renversant que ça mais la ballade enneigée est sympathique (enfin, façon de parler… 😀 ). La deuxième, « Jerusalem’s Lot », est plus consistante. A nouveau faisant référence à Stoker (de par son style épistolaire cette fois mais aussi avec le clin d’œil au « Repaire du ver blanc » de l’auteur irlandais), elle est pourtant avant tout lovecraftienne (calquée sur la nouvelle « Les rats dans les murs » de l’auteur de Providence et faisant référence à l’ouvrage fictif « De vermis mysteriis » inventé par Robert Bloch et réutilisé ensuite par Lovecraft lui-même) et si on s’abstiendra de chercher une quelconque cohérence entre ce texte censé se passer avant « Salem » et le roman, l’horreur sous-jacente est bien présente même si peut-être trop laissée à distance. Pas aussi impressionnant qu’un vrai Lovecraft mais l’essai est tout à fait honorable.

 

Lire aussi les avis de Tigger Lilly, Alys.

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail