Au coeur des Méchas, de Denis Colombi

Il faudrait que je lise un peu plus souvent les parutions des éditions 1115. Que ce soit en nouvelles (ici et ici) ou en novellas (ici, ou encore ), je n’ai guère été déçu. Et autant le dire tout de suite, ce n’est pas avec cette novella de Denis Colombi que ça va commencer, oh que non !

 

Quatrième de couverture :

« Vous avez sans doute entendu dire que les modèles récents ne sont pas juste des robots géants, mais sont aussi organiques, je me trompe ? En fait, ce n’est pas une nouveauté, ça a toujours été le cas : l’organique, c’est l’équipage.
Pourquoi ce sont des humains qui font tout ça ? C’est assez évident, non ? On coûte moins cher que des droïdes. »

Quand on ne peut plus faire l’économie des combats titanesques face aux assauts répétés de la menace extraterrestre, ne reste qu’une solution pour sauver l’humanité : l’amputer d’une fraction de sa population en l’envoyant travailler au cœur des Méchas. Mais pour combien de temps, encore ?

 

Sociologie ‘Mécha’nisée

Denis Colombi est un sociologue et enseignant au lycée, très actif sur les réseaux sociaux (un peu moins sur le réseau muské mais beaucoup plus sous celui au ciel bleu…). C’est aussi quelqu’un qui a grandit avec un certain nombre d’oeuvres (Goldorak, Bioman, Evangelion…) qui permettent de comprendre pourquoi il a écrit sur les Méchas, ces robots géants, essentiellement japonais, qu’on trouve dans nombre de mangas et animes. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Denis Colombi n’a pas écrit « Au coeur des Méchas » juste pour le fun (quoique on est d’accord pour dire que les Méchas ça déchire, non ?) mais aussi pour faire réfléchir un peu quand même, c’est son côté sociologue : il ne peut pas s’empêcher de réfléchir. 😀 Ceci dit, c’est suffisamment bien fait (et même très bien fait) pour que le propos ne soit pas alourdi par un argument sociologique asséné à coup de massue (ou de fulguro-poing 😉 ). Allons voir ça de plus près.

Le livre débute avec une jeune femme qui s’adresse à un spectateur (personnifiant le lecteur) venu assister au combat entre un Mécha et un vilain Titanide, le dernier gros monstre en date à tenter de conquérir la Terre, ces monstres arrivant un à un régulièrement à l’image des méchants Golgoths de « Goldorak » ou les Anges de « Evangelion ». Et en attendant que le combat ne débute vraiment, cette jeune femme va nous raconter son histoire, elle qui a travaillé comme ingénieure mécano dans les équipages des Méchas.

Car non, les Méchas ne sont pas pilotés par une seule et unique personne mais doivent leurs performances à tout un équipage chargé d’assurer que toutes les fonctions des robots sont disponibles à tout moment. Jusque dans le feu de l’action, il faut entretenir, réparer, dépanner, se débrouiller pour que le pilote, car il y en a bien un, puisse avoir tous les moyens à disposition pour éliminer la menace Titanide.

À partir de là, Denis Colombi déroule son récit en montrant au lecteur l’envers du décor. Invisibilisation des « petites mains », starification des pilotes qui prennent de haut le reste de l’équipage, harcèlement sous des formes variées, femmes mises de côté, capitalisme et coupes budgétaires, modèle économique prêt à tout sacrifier sur l’autel de l’argent, y compris des vies humaines si celles-ci « coûtent » moins cher (puisqu’elles sont largement invisibilisées) que des solutions plus techniques, usage des médias, manipulation voire abrutissement des masses, importance de l’image et de la communication, lanceurs d’alerte, vous voyez le topo et du même coup le propos de l’auteur : « Au coeur des Méchas » ne parle de rien d’autre que de notre société et du monde du travail. Le discours est limpide à travers ce qu’a vécu la jeune mécano, et chacun y verra sans aucun doute des éléments dont il a été témoin (ou victime…) dans son quotidien, au travail ou plus largement dans la société dans laquelle nous vivons.

Tout ça repose sur un tas de classiques que les plus connaisseurs s’amuseront à retrouver ici ou là (les références sont nombreuses, j’en ai déjà citées quelques-unes plus haut que l’on retrouve à travers des allusions comme les Anges ou les enfants pilotes, le concept même du livre rappelant évidemment « Evangelion » ou « Pacific Rim »), sans que l’ensemble ne ploie sous leur poids, parvenant même à gagner une vraie identité propre même si le contexte du récit n’est pas explicité, et c’est tant mieux tant cela aurait dilué le propos. Bref, le côté geek et le côté sociologique se marient au mieux, un couple a priori contre-nature mais qui, lorsqu’il repose sur des bases solides, fonctionne parfaitement avec un équilibre délicat très bien tenu entre scènes d’action et un sous-texte d’importance mais pas assommant pour autant (chacun pourra d’ailleurs y trouver son compte : le récit est tout aussi réussi qu’il soit pris au premier degré ou plus profondément analysé), jusqu’à une conclusion non totalement conclusive (!!) (pour ce qui est de l’histoire en elle-même en tout cas, tout ce qui devait être dit sur le fond ayant clairement été exposé) qui laisse le grand spectacle à l’imagination du spectateur. Et donne envie de revoir « Pacific Rim » tiens (et son réacteur de couuuuuude !!) ! 😀

A l’évidence, Denis Colombi connait donc ses classiques et en plus de les avoir digérés, il en fait un excellent texte dans lequel des robots bastonnent des monstres certes, mais qui se penche aussi sur le monde du travail et le capitalisme, sans se poser en donneur de leçons ou en lanceur de tract politique un brin lourdingue. C’est finement pensé, c’est très bien réalisé, c’est passionnant autant que questionnant sous des allures de légèreté (enfin, façon de parler quand on parle de Méchas…), c’est geek et c’est sociologique (sociologeek ?), tout ça en moins de 90 pages. Un grand bravo !

Et pour compléter, je ne peux que vous conseille la lecture de l’interview de l’auteur sur le blog du Chien critique, ainsi qu’une autre interview sur le site des Éditions 1115.

 

Lire aussi les avis de L’ours inculte, Le nocher des livres, Le chien critique, Le syndrome Quickson, Stéphanie Chaptal, Fantastinet, Fantasy à la carte

 

  
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